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nettement la faiblesse du système, et il en sortira cette preuve, que les Turcs, avec leurs instincts de domination égoïste et oppressive, n’ont pu ni dompter, ni se concilier, ni comprendre même la race kabyle, envers laquelle la France, avec ses idées assimilatrices, a d’autres devoirs à remplir, de plus hauts intérêts à poursuivre.


I

C’est en 1516 que le fondateur de la régence, le Turc Baba-Aroudj, connu sous le nom de Barberousse, inaugura dans Alger l’ère d’une autorité nouvelle[1]. Qui était-il ? Le fils d’un potier de Lesbos, un corsaire réputé, ainsi que Khaïr-ed-Din son frère, pour son audace et ses prises, et impatient d’occuper sur la côte barbaresque un asile digne de la puissance qu’il rêvait. Comment vint-il ? Les Arabes d’Alger l’avaient appelé à leur aide au nom de l’islamisme menacé par les Espagnols, qui, maîtres d’Oran (1509) et de Bougie (1510), osaient même élever en face des remparts algériens une forteresse sur l’îlot rocheux du Pegnon.

De Djidjelly, première conquête des frères Barberousse, étaient donc parties pour Alger seize galères portant 1,500 Turcs avec artillerie et munitions, tandis que Baba-Aroudj prenait lui-même la voie de terre, suivi de 800 Turcs bons tireurs et de 5,000 Kabyles qu’attirait l’espoir du butin. Avec des ressources pareilles, Baba-Aroudj n’était point fait pour rester le simple allié du cheik d’Alger, Salem-et-Teumi. La force, il l’avait ; la trahison, il n’y répugnait pas ; son étoile, il y croyait pleinement ; il pouvait et il voulait être le maître : — il le fut. Dans la même année (1516), il étrangle de ses mains Salem-et-Teumi, son hôte, pour se faire la place libre, et, par une glorieuse défense de la ville contre l’attaque espagnole de Francesco de Vero, il établit définitivement son pouvoir.

Dans le principe, Kabyles aussi bien qu’Arabes accueillirent le corsaire avec faveur ; c’étaient même les Djurdjuriens qui avaient les premiers, dès 1512, recherché son concours contre la garnison chrétienne de Bougie, et deux échecs successifs devant cette place, où Baba-Aroudj perdit un bras, avaient cimenté leur alliance. Cependant la tradition kabyle n’a conservé aucun souvenir sérieux de l’avènement des Turcs dans Alger ; elle a seulement arrangé une petite fable qui prête la ruse plutôt que la force pour fondement

  1. Nos principales sources historiques pour le XVIe siècle sont : la Fondation de la régence d’Alger, chronique arabe traduite par MM. Sander-Rang et Denis, et s’arrêtant à l’année 1541, l’Afrique de Marmol, publiée en 1573, et l’Epitome de los Reyes de Argel de Hœdo, qui va jusqu’en 1596.