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une clarté et une méthode qui n’étaient pas familières aux Allemands. La sagesse, l’ordre, la netteté, telles sont les qualités principales de ses ouvrages. Ce sont celles aussi qui plaisent le plus chez nous et qu’on nous attribue d’ordinaire : il semble donc que traduire Preller en français, ce soit presque lui rendre sa langue naturelle.

M. Dietz vient de traduire la mythologie romaine sous ce titre : les Dieux de l’ancienne Rome. Je ne sais si ce n’est pas le meilleur des deux ouvrages de Preller ; c’est au moins celui qui nous apprend le plus de choses inconnues. Les beaux travaux de Creuzer, popularisés chez nous par M. Guigniaut, et le livre de M. Maury nous ont mis depuis longtemps au courant de la religion des Grecs ; celle des Romains ne mérite pas moins d’être étudiée. Ils s’appelaient eux-mêmes « les plus religieux des mortels, » et ils n’avaient pas tort, s’il faut entendre par religion un ensemble très compliqué de formalités minutieuses. Aussi haut qu’on remonte dans leur histoire, on retrouve cette religion exigeante et rigoureuse qui embarrasse la vie entière du magistrat et du citoyen de mille pratiques gênantes. Niebuhr a bien tort de placer la poésie au berceau de Rome ; on n’y trouve que des formules et des prières. Quand les Romains voulaient distinguer leur ville de toutes les autres, ils disaient qu’avant de la bâtir on avait consulté les auspices, urbem auspicato conditam incolimus. Les récits de Tite-Live nous font bien voir qu’elle s’est toujours souvenue de cette origine.

La religion tient donc une grande place dans l’histoire de Rome. Elle a été, depuis les premières années, si profondément mêlée à toutes les révolutions politiques qu’on peut retrouver la suite de ces révolutions dans la mythologie de Preller. A Rome comme partout, la religion se vantait de n’avoir jamais changé. C’est une prétention que les faits justifient très peu, et l’on voit bien que là aussi les dieux ont souvent ressenti le contre-coup des événemens humains. Ce qui n’a pas subi de changemens, c’est la façon dont on les honorait. Tandis que les croyances variaient, les rituels sont restés les mêmes. Ce peuple était si instinctivement conservateur que jusqu’à la fin il a répété scrupuleusement des prières dont il ne comprenait plus le sens. Nous avons encore quelques-unes de ces vieilles prières : c’est le document le plus certain qui nous reste de l’histoire primitive de Rome. Les légendes historiques dont Niebuhr s’est beaucoup servi ont subi trop d’altérations ; grâce aux mensonges des Grecs, pour qu’on puisse avoir confiance en elles. Les formules religieuses ont été protégées par le respect qu’elles inspiraient ; elles font revivre pour nous les Romains des premiers temps, et c’est là qu’il faut chercher les derniers souvenirs de leurs anciennes opinions avec les derniers vestiges de leur langue naissante.

A l’aide de ces vieux débris et avec le secours des savans qui s’étaient occupés de les recueillir et de les expliquer, Preller a reconstitué la mythologie primitive des Romains. Il a montré qu’elle n’était qu’une sorte de fusion des croyances des peuples italiques ; il a démêlé ce qui revenait à