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l’effet qu’en espérait l’éloquent démagogue, car dans un meeting subséquent il a singulièrement radouci son langage. Plusieurs meetings réformistes ont été réunis à Londres et en d’autres villes sans grand éclat. Un acte plus important, plus significatif, et qui paraît plus propre à augmenter les chances de succès du bill et la force du ministère, a été la réunion des membres de son parti convoquée par lord Russell. Le premier ministre a passé là en revue et a harangué son armée avant le combat. On dit que le vieil homme d’état que l’on accuse depuis deux mois de ne plus prendre la parole dans la chambre des lords qu’avec des symptômes trop visibles de lassitude a retrouvé dans cette réunion sa force et son autorité. Il a parlé pendant une heure ; ses paroles n’ont point été reproduites par les journaux. La scène ne devait point manquer d’une sorte d’intérêt pathétique et d’une certaine grandeur. Les libéraux, que lord Russell a conduits pendant plus de quarante ans dans toutes les campagnes réformistes, se retrouvaient en présence de leur vieux chef dans une circonstance décisive et au terme de son existence politique. Il était là demandant à ses amis de l’aider à couronner par une dernière réforme l’unité de sa vie. Le bill de réforme de 1832 a donné à l’Angleterre trente-cinq ans de paix sociale et de progrès politiques et économiques ; en introduisant de nouveaux élémens populaires dans la constitution, lord Russell voudrait léguer à sa patrie, comme un héritage bienfaisant, une période aussi longue de tranquillité intérieure et de prospérité. L’intention est sincère et l’ambition est généreuse ; quel contraste entre cette droiture désintéressée et les cupidités des politiques à sensation de notre continent ! Les vieux whigs devaient être touchés de ce spectacle, qui leur rappelait les gloires d’un passé honnête ; les jeunes devaient écouter avec respect ce stoïcien politique ne demandant plus qu’à rendre un seul service à son pays, le service d’y consolider pour un autre quart de siècle la paix intérieure. La scène avait en elle-même une émotion persuasive. On assure que cette réunion a changé la résolution de plus d’un membre de la chambre des communes, qui s’est décidé à étouffer ses objections contre le bill et à rester au moment du vote décisif dans les rangs de son parti. Si l’amendement de lord Grosvenor est repoussé, si la seconde lecture passe, si l’existence du ministère s’affermit, on le devra à l’influence personnelle de lord Russell, à un sentiment persistant de respect pour son autorité morale, à un dernier hommage rendu à un nom illustre.

La seconde lecture a été proposée par M. Gladstone, et le débat a occupé déjà une séance de la chambre des communes. Les impressions que donne la lecture de cette séance ne sont point favorables au ministère. M. Gladstone a été beaucoup plus éloquent que dans le discours un peu aride et trop enflé de statistique qu’il avait prononcé en introduisant la mesure. Cependant une sorte d’amertume s’est mêlée cette fois à la chaleur de l’orateur ministériel ; M. Gladstone a été agressif contre ses adversaires, et