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l’épreuve des débats contradictoires. Les légistes consommés qui ornent le sénat, eux qui ont été d’illustres commentateurs des codes, croient-ils que les lois se puissent passer de commentaires ? Une constitution est une loi, la loi suprême, et l’on peut, sans avoir la moindre intention de la violer et de lui manquer de respect, en interpréter le sens, en étudier les précédens, s’efforcer d’en apprécier la logique. Ce débat même du sénat a montré que des dissentimens peuvent s’élever entre les meilleurs esprits sur le sens d’un texte légal. M. Delangle croyait que l’on pouvait voter la question préalable avant le rapport sans infraction au règlement du sénat : on lui a prouvé cependant que le texte du règlement était formel et ne prêtait à aucune équivoque. Nous espérons que ce curieux épisode n’aura point été perdu par les électeurs de Strasbourg, qui ont à élire demain un représentant. L’ancien député de cette ville, M. de Bussierre, avait, aux dernières élections, promis très nettement aux électeurs de demander des réformes libérales ; quelques-unes des expressions de sa circulaire ont même été reproduites dans l’amendement des quarante-cinq. Cependant M. de Bussierre n’a pas cru devoir voter cet amendement, et a donné sa démission, comme pour demander à ses électeurs de le délier de ses anciennes promesses. L’opinion libérale oppose avec une remarquable unanimité le nom connu et estimé de M. Éd. Laboulaye à la candidature de M. de Bussierre. La population d’une des plus grandes cités de France dira demain si à son gré la mesure des libertés publiques est comble, et si le pays est indifférent aux réformes libérales.

Les Anglais, qui sont en ce moment aux prises avec un projet de réforme parlementaire et sont par conséquent en train de remanier leur constitution, seraient sans doute fort stupéfaits, si quelqu’un s’avisait de leur dire que le silence est la plus haute forme du respect dû par un peuple à sa loi fondamentale. Pendant les vacances de Pâques et à la veille de la seconde lecture du bill relatif à la franchise électorale, les esprits ont commencé à s’échauffer sur cette question de réforme. M. Gladstone est allé à Liverpool, où il a prononcé plusieurs discours et pratiqué en faveur du plan ministériel cette sorte d’apostolat ambulant que comportent les mœurs politiques anglaises. M. Bright, l’inspirateur de la mesure, le véritable chef du mouvement réformiste, a senti qu’il fallait passionner le débat, et a lancé contre les adversaires du bill les foudres démagogiques. Dans une lettre écrite à la société réformiste de Birmingham, le grand agitateur a parlé le langage violent des mauvais jours révolutionnaires, dénonçant le parlement dont il fait partie, les conservateurs, les dissidens libéraux, avec une âpreté d’expressions qui a plutôt frappé qu’ému le public impartial. M. Bright rappelait les attroupemens tumultueux de 1831 et de 1832 autour de Westminster, comme s’il eût eu la pensée d’évoquer de semblables manifestations populaires et d’en effrayer les récalcitrans timides de la chambre des communes. Cette violence à froid n’a probablement pas produit