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partageaient les peuples germaniques, de favoriser les libertés relatives et les demi-indépendances qui résultaient de ces divisions pour les diverses fractions de l’Allemagne, de prévenir l’assujettissement total de cette grande race à une autorité unique et despotique. Dans notre siècle, on entrevoit le système libéral par lequel une union politique moins imparfaite des peuples allemands se pourrait concilier avec la sécurité de la France. Les descendans des tribus germaniques sont évidemment un peuple né pour les institutions fédératives ; la forme la plus parfaite des fédérations est la forme républicaine ; la race allemande, qui envoie aux États-Unis de si bonnes recrues républicaines, ne peut être déclarée radicalement impropre aux institutions d’une république fédérative ; l’avenir ne condamnera point peut-être comme paradoxale l’idée d’une Allemagne devenue les États-Unis de l’Europe. Si cette idée est destinée à être longtemps un rêve, du moins la France ne pourrait trouver de sécurité dans l’union plus régulière de l’Allemagne que si cette union s’établissait avec la garantie d’institutions représentatives sincères et puissantes. Une Allemagne unie aux mains d’un souverain ou d’un ministre autocrate qui pourrait faire de la force de ce pays l’instrument docile d’une politique ambitieuse et turbulente ne saurait être tolérée par la France. Or voilà les considérations que nous ne pouvons bannir de notre esprit quand nous voyons M. de Bismark profiter des occasions que lui offre l’imbécillité des cabinets européens pour travailler à la concentration militaire de l’Allemagne sous une hégémonie prussienne. M. de Bismark, le contempteur des assemblées représentatives, le ministre qui a voulu soumettre les discours des députés prononcés en parlement à la juridiction des tribunaux, l’ambitieux impatient qui brise sans scrupule les entraves constitutionnelles, n’est point l’homme qui peut concilier la France à l’idée d’une grande Allemagne maniée par une autocratie prussienne. La politique de M. de Bismark est nécessairement contraire à la France et doit être combattue par le patriotisme français, parce qu’au lieu de s’appuyer sur l’esprit libéral allemand, elle le comprime et l’outrage. L’appel que ce narquois ministre fait à un parlement allemand nommé par le suffrage universel est un dernier motif qu’il donne dérisoirement aux défiances du libéralisme européen. Lui qui perçoit illégalement un budget qui n’est point voté par le parlement, lui qui a congédié dédaigneusement la chambre des députés, lui qui s’oppose à la réunion des représentans des duchés de l’Elbe, qui a-t-il voulu amorcer ou flatter par cette évocation du suffrage universel imaginée au dernier moment comme un expédient de comédie ? Cette affectation de politique césarienne nous paraît peu propre à réussir en pleine race germanique, et ne fera qu’augmenter ailleurs les légitimes inquiétudes des esprits libéraux.

Il y aurait assurément encore en Allemagne d’énergiques élémens de résistance contre les tendances envahissantes de la Prusse, si l’Autriche,