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engagée, la France pourrait être forcée d’intervenir dans des conditions aujourd’hui imprévues ; que l’action de l’Italie, si elle était dirigée contre l’Autriche, remuerait nécessairement les populations chrétiennes de la Turquie d’Europe ; que le feu prendrait aux contrées danubiennes ; que la Russie serait amenée dans la lutte ; que la question d’Orient s’imposerait à l’Europe divisée ; que là aussi la France serait obligée d’apparaître, et que l’Angleterre serait forcée elle-même de sortir de son inaction calculée. On s’est dit enfin qu’il s’agissait là non plus de ces guerres limitées et localisées, comme celles que nous avons vues dans ces douze dernières années, dont le but est défini, le champ d’action circonscrit, la durée même mesurée d’avance, mais d’une de ces luttes confuses où personne ne peut plus prendre son heure, désigner son champ de bataille, calculer la portée de ses efforts, l’emploi de ses ressources, et dont l’issue mystérieuse est livrée au hasard. Voilà ce que les marchés financiers ont compris avec cette sagacité instinctive et véhémente qui guide les intérêts ; voilà la perspective qui, jointe à l’obscurité dont les desseins de la politique française sont enveloppés, leur a inspiré une frayeur soudaine et peut-être exagérée ; voilà la cause de cette dépréciation déplorable de la richesse mobilière qui s’est accomplie en si peu de jours, à laquelle la rente française n’a point échappé, et qui peut s’estimer à des centaines de millions.

Devant ces premiers et terribles effets de l’inquiétude qu’inspire en France la menace d’une guerre entre la Prusse et l’Autriche, nous ne doutons point que la sollicitude du gouvernement français ne soit sérieusement éveillée. Le gouvernement comprendra, nous en avons l’espoir, qu’il doit donner au pays des informations, nous ne disons point sur les démarches actuelles de sa diplomatie, mais sur l’esprit général de sa politique étrangère. Il serait déplorable que les grands intérêts du travail et du capital, qui ont besoin de voir la route éclairée devant eux, fussent réduits à marcher à tâtons, sans autre information que les données conjecturales que leur apportent les polémiques allemandes. Quoique les rapports soient aussi tendus que possible entre la Prusse et l’Autriche, ces polémiques peuvent durer bien longtemps encore et prolonger les ruineuses incertitudes qu’elles entretiennent. Le nouveau tour que M. de Bismark vient de donner à sa controverse avec l’Autriche élargit considérablement le débat et en aggrave la difficulté et le péril ; mais il rend de nouvelles lenteurs possibles. Le ministre prussien en proposant la réforme fédérale, l’Autriche en invoquant l’article li du pacte fédéral, font intervenir dans le drame un acteur nouveau, la diète, c’est-à-dire le chœur des états secondaires, acteur qui n’a guère l’habitude d’être prompt dans ses mouvemens.il y a là un délai de procédure qui, s’il ne promet point une conciliation amiable, aura du moins pour effet de retarder les hostilités.

Nous demandons la permission de ne plus porter de jugement sur les moyens que M. de Bismark a employés jusqu’à présent pour arriver à