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trouverons de quoi nous réjouir. Une pareille politique, quoique entachée d’une médiocrité réelle d’esprit et de sentiment, ayant l’air de la force qui se réserve et de l’habileté qui attend patiemment sa chance, peut séduire pendant un temps la foule de ceux qui ne veulent rien prévoir et qui trouvent naturel que l’on joue au petit bonheur les destinées des grands peuples ; mais ce somnolent optimisme est exposé à de violens et douloureux réveils.

C’est à un phénomène de ce genre que nous assistons aujourd’hui. Le rêve des habiles qui se consolaient volontiers des agitations troubles de l’Allemagne a été interrompu en sursaut par la panique des intérêts matériels, qui sont bien mieux doués que la diplomatie de profession du sens de la réalité. À peine la Prusse et l’Autriche se sont-elles menacées durant quelques jours, qu’on s’est aperçu des vastes et vivaces intérêts par lesquels la France était attachée à la conservation de la paix en Allemagne. La richesse mobilière de la France a été frappée tout à coup sur notre marché financier d’une dépréciation énorme. La France pacifique ne se répand point au dehors comme d’autres peuples par le génie colonisateur ; mais la France a montré depuis quelques années qu’elle était douée d’une autre faculté d’expansion qui ne devrait pas être moins utile à sa prospérité et à l’influence de sa civilisation. La France est une grande productrice de richesse, et possède une considérable puissance d’épargne. La France ne fait point émigrer ses populations, mais elle laisse volontiers émigrer ses capitaux ; une portion notable de la richesse du pays est maintenant engagée dans les emprunts d’état et dans les grandes entreprises de travaux publics à l’étranger. Il est inutile de parler de l’étendue et de l’activité des applications de la richesse et du travail à l’intérieur du pays, de la solidarité qui unit notre prospérité intérieure aux vicissitudes des opérations de crédit public entamées au dehors par nos capitaux. Il est également superflu de rappeler les encouragemens, pour ne pas dire les excitations, qui ont entraîné l’activité de la France aux grandes aventures des spéculations industrielles et financières. La conséquence d’un tel état de choses devrait toujours être présente à la pensée des hommes politiques. La constitution économique de notre nation devrait déterminer sa direction diplomatique. Nos affaires extérieures ne peuvent plus être conduites comme celles d’un état de l’ancien régime. Nous ne sommes plus au temps où il était permis à la diplomatie de faire de l’art pour l’art, où les hommes d’état se jouaient au dilettantisme des ruses, des dissimulations, des intrigues des cours. À la place des mystères de cabinets, des chuchotemens de salons, des parties liées dans l’ombre, il nous faut les résolutions droites et sensées, arrêtées avec rapidité, exprimées au grand jour, et qui donnent aux intérêts la confiance en les éclairant. Le véritable homme d’état de notre époque n’est plus celui qui cherche à gagner des territoires par d’impétueux coups de main ou des combinaisons Insidieuses et patientes. Les variations éprouvées par la richesse mobilière sous