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d’agriculture des diverses parties du territoire ; elle a pris sans hésiter, après une vive discussion de plusieurs jours, les résolutions les plus vigoureuses.

Son premier vote a eu pour but de faire disparaître l’inégalité qui existe aujourd’hui devant l’impôt entre les produits agricoles étrangers et les produits agricoles indigènes. Les céréales, les bestiaux, les laines, etc., entrent en franchise de droits ou avec des droits nominaux. Cette immunité n’aurait que des avantages, si l’absence de toute perception à la frontière n’obligeait à charger les impôts à l’intérieur. Nous avons déjà nous-même appelé sur cette question l’attention des lecteurs de la Revue[1]. Rappelons seulement qu’il s’agit d’une recette de 30 millions au moins que l’administration des finances laisse échapper pour en chercher d’autres moins équitables. Il n’y a là aucun retour au système protecteur, il s’agit au contraire de faire cesser le privilège dont jouissent chez nous les produits étrangers. De tout temps, les économistes qui ont le plus combattu les droits protecteurs ont admis les droits fiscaux. La célèbre association pour la liberté des échanges qui a fait tant de bruit il y a vingt ans s’en expliquait en ces termes dans sa déclaration de principes du 10 mai 1846 : « Il est évident que la douane peut être appliquée à deux objets très-différens, si différens que, presque toujours, ils se contrarient l’un l’autre. Napoléon a dit : La douane ne doit pas être un instrument fiscal, mais un instrument de protection. Retournez la phrase, et vous aurez tout notre programme. Ce qui caractérise le droit protecteur, c’est qu’il a pour mission d’empêcher l’échange entre les produits nationaux et les produits étrangers ; ce qui caractérise le droit fiscal, c’est qu’il n’a d’existence que par cet échange. Moins le produit étranger entre, plus le droit protecteur atteint son but ; plus le produit étranger entre, plus le droit fiscal atteint le sien. » Vers le même temps, l’économiste Bastiat, renchérissant sur cette déclaration, écrivait : « Je suis si loin de vouloir détruire les douanes que je les regarde comme l’ancre de salut pour nos finances ; je les crois susceptibles de donner au trésor des recettes immenses. » Or, pour obtenir des douanes, sinon précisément des recettes immenses, du moins des revenus de quelque valeur, il faut de toute nécessité imposer les produits de grande consommation ; les objets de luxe ne suffisent pas.

Quelques casuistes de l’économie politique, exagérant, comme il arrive toujours, la doctrine des maîtres, s’évertuent aujourd’hui à montrer qu’un droit fiscal peut devenir dans une certaine mesure un droit protecteur. Cette objection exclurait tous les impôts, car tout impôt sur un produit est nécessairement protecteur des autres.

  1. Livraison du 1er février 1866.