Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/1046

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ajoutez à ces signes inquiétans la disparition de la soie, et vous verrez que les progrès de la production agricole ont dû être à peu près nuls depuis 1851 ; c’est déjà beaucoup d’admettre qu’elle n’ait pas reculé. La production du blé et du vin s’est accrue par suite des hauts prix qui avaient suivi d’énormes déficits de récolte ; mais tout le reste, en particulier la production du bétail, la plus importante de toutes, a souffert.

Sortons de ces détails de chiffres, et demandons-nous si l’examen des causes générales nous ramène à la même conclusion. Tout le monde sait que l’agriculture, comme toute autre industrie, ne peut prospérer qu’au moyen de deux instrumens de travail, les bras et les capitaux. Or, s’il est un fait évident et incontestable, c’est que les uns et les autres ont manqué. Les dénombremens constatent que de 1851 à 1861 la population des campagnes a diminué de 10 pour 100, et ce sont surtout les hommes valides qui sont partis, laissant derrière eux les femmes, les enfans et les vieillards. La somme de la main-d’œuvre agricole a diminué d’un cinquième ou d’un quart, et le prix s’en est élevé en proportion. Beaucoup de travaux accessoires sont devenus impossibles. Les machines n’ont pu remplacer que faiblement les bras. La main-d’œuvre n’a pas été seulement plus rare et plus chère, elle est devenue plus mauvaise ; les meilleurs ouvriers ont quitté les champs, ceux qui sont restés ont pris le moins de peine qu’ils ont pu, et il a fallu en passer par là.

La désertion des capitaux n’est pas moins visible. Les moindres cultivateurs comprennent parfaitement qu’il est insensé de mettre son argent dans le sol quand on peut le placer, sans embarras et sans travail, à 5, 6, 8, 10 pour 100, dans des valeurs mobilières qui ajoutent encore à ces gros intérêts l’appât de primes et de loteries. On ne répare pas ses étables, on n’entretient pas son bétail, on n’approfondit pas ses labours, on n’étend pas ses cultures fourragères ; mais on a des fonds italiens, des fonds autrichiens, des fonds mexicains, des actions et obligations, etc. Depuis 1851, la France a fourni un milliard par an aux emprunts français et étrangers et aux entreprises de toute sorte qui ont sollicité les capitaux. Les épargnes du pays ne se sont pourtant pas accrues, elles ont plutôt diminué par les goûts de luxe et de dépense que la perspective de profits faciles a répandus dans toutes les classes ; il a donc fallu que ce milliard annuel fût pris sur le fonds commun qui alimentait le travail industriel et agricole. Sur ces quinze milliards, la moitié seulement s’est logée dans des emplois productifs, comme les chemins de fer ; l’autre s’est perdue dans des emprunts d’état, dans les démolitions de Paris et des autres grandes villes, dans une foule de mauvaises affaires qui ont fini par crouler.