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100,000 hectares et la betterave de 83,000, ce qui aggrave encore la difficulté ; où a-t-on pris ces 200,000 nouveaux hectares ?

Ce serait dans tous les cas un progrès que cette extension de la betterave ; mais ici, comme en beaucoup d’autres circonstances, les documens officiels ne sont pas d’accord avec eux-mêmes. D’après le discours de Poissy, la betterave ne couvrait que 36,000 hectares avant 1852, et la statistique officielle qui se rapporte précisément à cette même année porte 111,000 hectares. Quel est le véritable chiffre ? Si c’est celui de la statistique, la betterave n’aurait gagné que 8,000 hectares depuis 1852 au lieu de 83,000 ; cette racine précieuse, mais exigeante, ne porte en effet des produits rémunérateurs que dans des terres de première qualité, et la culture en est renfermée dans six ou sept départemens du nord de la France. Qu’est-ce qu’une production, si riche qu’elle soit, qui ne s’étend qu’à un hectare sur 500 de la surface totale du territoire ? Non-seulement elle trouve peu de terres qui lui conviennent, mais elle n’a que des débouchés limités. Elle a prospéré quelque temps par la distillerie à cause de l’oïdium, qui avait supprimé à peu près l’alcool de vin ; mais depuis que l’ancienne production du vin se rétablit, les distilleries de betteraves se ferment. Reste le sucre, qui, pour le moment, hérite de la distillerie, mais qui ne peut pas lui-même s’étendre indéfiniment.

Dans son discours, le ministre ne nous a rien dit du bétail, ce principal intérêt de l’agriculture ; c’était pourtant bien l’occasion, à propos du concours des animaux gras, de répondre aux rumeurs fâcheuses qui se répandent depuis quelque temps et qui accusent un déclin dans la production du bétail malgré le prix de la viande. Nous avons appris par une statistique de 1856 que dans les cinq ans qui ont suivi 1851, les bêtes à laine ont diminué en France d’un cinquième. Pas un mot sur ce grave sujet. Le ministre n’a pas été plus explicite pour le gros bétail. Depuis trois ans surtout, la disette des fourrages a porté atteinte à la population bovine ; toute la moitié méridionale du territoire a eu beaucoup de peine à nourrir ses animaux de travail, et dans le reste l’élevage s’est ralenti. La viande maigre disparaît des marchés. Le haut prix du laitage contribue à réduire le nombre des veaux d’élève. Une importation croissante de bétail étranger ne remplit qu’imparfaitement le vide survenu dans nos étables, puisque les prix ne baissent pas. Pour les moutons surtout, l’importation a plus que quadruplé depuis quinze ans ; elle a passé de 200,000 têtes à 850,000. Ce n’est pas un mal en soi qu’une pareille introduction, puisque nous lui devons une partie de la viande qui nous manque, mais elle donne un indice de plus du déclin de la production nationale.