Suivez la poésie grecque depuis son aurore jusqu’à son déclin ; et vous verrez qu’elle est toujours une image de la société, et qu’elle observe autant qu’elle imagine. Les muses ont le pied posé sur la terre, elles sont les filles de Mémoire. Dans les âges héroïques, la poésie est déjà l’histoire de la civilisation naissante. Les poèmes d’Homère ne sont point bâtis en l’air, et, de quelque manière qu’on les juge, on sent qu’ils sont pleins de réalités historiques. Les fictions religieuses sont les croyances mêmes du peuple, les faits épiques ses traditions, les caractères des héros sont ceux de ces âges à demi barbares, la science est toute celle du temps. A l’aide de l’Iliade et de l’Odyssée, on peut tracer la géographie alors connue, se faire une idée de l’astronomie, de l’agriculture, des armes, des vêtemens, des meubles. Cette grande poésie qui paraît si libre, elle est de toutes parts emprisonnée dans le cercle de la vie réelle, et partout mêlée à des connaissances positives. Les anciens ont été déjà si vivement frappés de ce caractère historique, qu’ils ont attribué à Homère une sorte de science infuse, admirant sa connaissance exacte des choses autant que son génie poétique. Ils parlaient quelquefois de ses poèmes comme nous parlerions d’une encyclopédie. Ils disaient qu’il était astronome, politique, guerrier, géographe, médecin, ils lui attribuaient même la connaissance de tous les métiers. Les modernes à leur tour ont recueilli curieusement tout ce que le vieux poète savait dans toutes les branches des connaissances humaines, dans la navigation, dans les sciences et les arts. On a été jusqu’à faire la flore d’Homère. Essayez donc, avec tous nos vers adressés à la lune et aux étoiles, de donner la plus légère idée de notre astronomie.
Nous parlons d’Homère parce qu’il est le père de la poésie, le chef du chœur, et que tous les poètes grecs ont fait comme lui. Hésiode met en vers la science théologique, morale, agricole, de son temps ; la tragédie raconte l’histoire pathétique des dieux et des héros à la piété et au patriotisme ; la poésie de Pindare fournit des chants à la cité, chants de triomphe, hymnes, dithyrambes, prières pour les processions, pour les danses religieuses, pour les cérémonies funèbres : véritable liturgie ou parfois code de morale, elle est l’institutrice du citoyen et l’ornement de ses fêtes. Celui qui tracerait l’histoire de tous les genres et de tous les rhythmes ne ferait que raconter l’histoire morale de ce peuple qui a mis sa vie toute entière dans ses vers, et qui semble n’avoir dans sa poésie d’autre soin que de se peindre lui-même. S’il est un genre de poésie qui paraisse étranger à l’histoire, c’est assurément la poésie lyrique. Là, le poète ne relève le plus souvent que de sa propre inspiration, il est libre, il suit son caprice, il mérite d’être appelé une chose légère et ailée, comme dit Platon ; mais en Grèce même