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aussitôt un certain nombre de familles ont cessé d’envoyer leurs enfans à l’école. Les nombreux cours d’adultes récemment ouverts en France sont gratuits. Sont-ils déserts, ou plutôt n’est-ce pas la gratuité qui les peuple ? En 1863, 5,000 écoles communales sur 52,000 étaient gratuites. Étaient-elles moins suivies que les autres ? Non, elles l’étaient davantage. Cette première objection écartée, il reste vrai qu’il faudrait demander à l’impôt ce que les familles paient maintenant volontairement. Voyons à quoi se réduit cette difficulté. Les rétributions scolaires rapportent en France 14 millions ou 37 centimes par habitant, en Belgique 750,000 francs ou 15 centimes par tête ; c’est donc une somme bien minime qu’il faudrait prélever, comme au Canada, par une taxe spéciale, la taxe d’école. Remarquons d’ailleurs que cette taxe ne constituerait pas une charge nouvelle, car les contribuables qui la supporteraient n’auraient plus à payer la rétribution scolaire, à laquelle ils sont maintenant soumis. Le moindre emprunt contracté pour quelque expédition militaire entraîne une aggravation d’impôts bien autrement forte, et, différence décisive, aucune remise d’une charge ancienne ne l’accompagne.

Avant de terminer, il convient de répondre encore à un mot qui a été dit récemment avec un certain éclat. Pour être bon soldat, bon ouvrier, a-t-on affirmé, il n’est pas nécessaire de savoir lire et écrire. La dernière guerre américaine a glorieusement démontré cependant que le citoyen éclairé ne se bat pas mal à l’occasion. Quant à l’ouvrier, on pourrait citer mille faits qui prouvent que plus il est éclairé, plus et mieux il produit. Voyons seulement ce qui se passe en ce moment sous nos yeux en France et en Belgique. En France, l’agriculture souffre et les cultivateurs sont mécontens. Au lieu de voir dans le bas prix des blés l’inévitable conséquence de l’abondance de la récolte, ils s’en prennent à l’excellente réforme qui a établi la liberté des échanges, nécessaire, légitime surtout pour les denrées alimentaires. Le paysan croit qu’on le sacrifie à l’ouvrier des villes. On a beau démontrer son erreur par des chiffres authentiques et irréfutables : il sait à peine lire ou il ne lit pas ; ces chiffres, il ne les connaît pas, ou il n’y croit pas ; il ignore ces notions économiques élémentaires qui lui feraient comprendre que la situation actuelle résulte non de l’action des lois, mais de celle de la nature. Avec un peu plus de lumières, il verrait la cause véritable du mal et il saurait y porter remède. Autre exemple. L’agriculture se plaint de manquer de bras, et on lui répond qu’elle n’a qu’à les remplacer par des machines ; mais, pour employer des machines, il faut des ouvriers adroits, soigneux, intelligens, afin de ne pas briser ou détériorer ces engins puissans et délicats, et de plus il faut