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enfans pauvres dans les écoles et à les habiller. En Belgique, on a appliqué dans un grand nombre de communes cette mesure de coercition, et partout elle a eu les meilleurs résultats. A Bâle, dans l’école des pauvres, on distribue aux enfans du pain, de la soupe, des habillemens, et l’on est bien certain de les avoir tous. En second lieu, il faudrait faire entrer les conscrits ne sachant ni lire ni écrire dans de bonnes écoles régimentaires et au besoin ne leur point accorder de congé avant qu’ils ne sachent au moins ce que devrait savoir tout enfant de huit ans. Puisque par la conscription on enlève le jeune homme à sa famille, à son travail, qu’au moins l’état lui donne l’instruction en échange du lourd sacrifice qu’il lui impose.

En proclamant l’instruction obligatoire, conviendrait-il aussi de la rendre gratuite pour tous ? Il n’y a point entre ces deux mesures de connexion nécessaire. En Allemagne, en Suisse et en d’autres pays, l’enseignement est obligatoire et n’est point gratuit. La plupart des économistes qui admettent l’obligation repoussent la gratuité. Néanmoins je pense que dans les pays où l’instruction ne se généralise que lentement et où le principe de l’obligation serait nouveau, en France, en Belgique, il faudrait y joindre la gratuité. C’est la gratuité érigée en principe dans les écoles religieuses qui a fait leur succès. En France, depuis vingt ans, les congrégations enseignantes ont doublé le nombre de leurs élèves et conquis près d’un million d’enfans. Le nombre de leurs membres a triplé. En 1843, elles comptaient 16,958 membres, dont 3,218 hommes et 13,830 femmes, et 7,590 écoles avec 706,917 élèves. En 1864, elles ont 46,840 membres, dont 8,635 hommes et 38,205 femmes, et 17,206 écoles avec 1,610,674 enfans, — progrès prodigieux et presque effrayant quand on songe à l’avenir et au danger des principes ultramontains dont les congrégations sont les représentans convaincus et dévoués. On combat la gratuité en disant que le peuple, le paysan surtout, n’estime que ce qu’il paie, et que l’enfant ne profitera point de l’instruction transformée en aumône. Les faits prouvent que cette objection n’est pas fondée. On a vu aux États-Unis avec quelle régularité, quelle assiduité est suivie l’école gratuite. En France, le dernier rapport de M. Duruy nous fait voir que les enfans payans suivent moins régulièrement les leçons que les autres. Le même fait a été constaté en Belgique par des relevés exacts. En moyenne, le nombre des jours de présence a été de 181 pour les élèves payans, de 184 pour les élèves gratuits, et cependant ces derniers, appartenant à des familles pauvres, ont bien plus de raisons pour s’absenter que les autres. Dans quelques provinces belges, dans le Limbourg, dans le Luxembourg, on a augmenté le taux de la rétribution scolaire ;