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émigré du Tamaulipas. San-Fernando, qui avait toujours accepté avec peine l’idée de relever de Mexico, goûta peu le programme français, tout en rendant d’ailleurs hommage à nos idées de justice.

Le 3 octobre au matin, la contre-guérilla descendait la rampe de San-Fernando au Rio-Tigre. Deux attelages de huit mules et trois de dix bœufs tramaient les pièces. Les deux gros canons de bronze sans affûts devaient suivre plus tard, dès que le sol aurait acquis plus de consistance. Le colonel de Perald se chargeait de les expédier à Vittoria. Malgré les terrassemens exécutés par nous pour adoucir les berges du fleuve, le passage du gué fut pénible. Les bœufs, en dépit de l’aiguillon et de leur nombre doublé, s’arrêtaient en mugissant au milieu du courant ; plus loin, ils enfonçaient dans les boues et glissaient sur la terre détrempée à la sortie de la rivière. Depuis quelques heures, la crue des eaux avait augmenté, Les essieux, plus tard les roues des caissons, disparaissaient sous le remous. Au soleil couchant, le Rio-Tigre était franchi, et les marmites, en rang de bataille, chantaient sur les feux de cuisine, allumés au sommet de la berge ; mais une avalanche d’eau fouettée par des rafales de vent tomba sans relâche pendant toute la nuit. Il fallut s’éloigner du fleuve grossissant, dont le bruit était sinistre, et notre colonne s’allongea sur la route ravinée par l’orage. Ce fut là le bivouac. De grands arbres allumés par le milieu du tronc, tandis que les racines plongeaient dans les ruisseaux, éclairaient le paysage. Officiers et soldats, montés sur de gros cailloux et groupés à l’envi autour de ces brasiers, se brûlaient la figure pendant que le reste du corps grelottait sous l’ondée. A 2 kilomètres de nous, à travers les branchages, scintillaient les lumières de San-Fernando, où l’on eût été si doucement abrité !

Ici allait vraiment commencer la plus rude partie de l’expédition. La contre-guérilla mit dix-huit jours à parcourir quarante-huit lieues pour rentrer à Vittoria. Le Rio-Tigre, la Corona, le Rio-Purificacion, le Pilon, et tous leurs petits affluens courent de l’ouest à l’est en descendant des plateaux du Nuevo-Leon, et traversent le Tamaulipas dans toute sa longueur. Il fallut les franchir tous sans jamais trouver un toit, et pendant toute notre marche les cataractes du ciel restèrent ouvertes. Si durant trois années les terres chaudes avaient été brûlées par la sécheresse, à cette heure elles étaient largement abreuvées. Aussi le parcours fut-il marqué par de nombreux incidens.

Cette route de Vittoria à San-Fernando est le chemin direct de Matamoros ; elle a été dessinée et construite à moitié par les Espagnols. Là où les chaussées n’ont pas cédé sous les efforts des eaux ou les empiétemens de la végétation, on en retrouve encore des