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des cavaliers. Ce sont de vrais bataillons de femmes qui remplacent l’administration militaire, service inconnu au Mexique. Leur accoutrement est bizarre. Elles portent sur leur dos ou sur leur tête, toujours en courant, les ustensiles de ménage et les maigres provisions de la journée ; souvent elles ont un enfant dans les bras. Elles furètent partout sur leur passage afin d’augmenter la ration de leur soldat ; elles se jettent comme une nuée de sauterelles sur les champs de maïs ou de cannes à sucre, qu’elles dépouillent sans que personne songe à s’en plaindre : c’est un usage reçu. Le soir, elles allument les mille cuisines du bivouac, fument la cigarette, puis couchent en plein air pêle-mêle avec la soldatesque. En garnison, elles ont accès à toute heure dans les quartiers et vont glaner sous le nez des chevaux, dont elles diminuent trop souvent la ration de maïs pour en faire leurs tortillas. Au combat, elles sont à leur poste et marchent d’une allure non moins résolue ; nous en avons vu, à la prise de San-Lorenzo[1], plusieurs étendues à terre, le crâne emporté par nos obus. Cette organisation excentrique, préjudiciable à tant d’égards, sera nécessaire tant que le gouvernement n’assurera pas directement par ses propres soins la ration de ses soldats, qui se changent en maraudeurs aux momens parfois les plus critiques. Sans les soldaderas, l’armée mexicaine mourrait de faim.

Le général dont la division allait nous quitter restera comme une figure à part dans les annales historiques de son pays. Mejia, aujourd’hui général en chef de l’armée austro-belge-mexicaine, est un Indien pur sang. Pour parvenir en dépit de son origine, il a commencé sa carrière par la rébellion. Taille très petite, cheveux noirs, front déprimé, teint pâle, yeux brillans, visage impassible, démarche lente et pleine de raideur, tels sont ses traits distinctifs. Taciturne, il aime néanmoins le clinquant dans sa tenue, toujours militaire, et cache sous une apparence de grande modestie une vaste ambition, que justifient vingt-cinq ans de fidélité à son parti, son influence sur plusieurs états du centre et un caractère aussi remarquable par son sang-froid qu’entraînant par sa bravoure. Plein de finesse, il se laisse pourtant dominer par son entourage ; dès qu’il ne sent plus la poudre, il manque de résolution dans les circonstances graves. La réputation de Mejia est presque légendaire ; elle s’est formée dans les brouillards de la Sierra-Gorda, où longtemps, à la tête de vaillans Indiens qui lui sont encore dévoués corps et âme à cette heure, il a guerroyé comme chef de partisans. Vainqueur et vaincu tour à tour, il a toujours été le ferme soutien de la réaction cléricale, à qui il doit tout, même sa fortune militaire. C’est à coup sûr le premier soldat

  1. Gros village, voisin de Puebla, où le général Bazaine livra et gagna sur Comonfort, ministre de la guerre, le combat qui entraîna la chute de Puebla.