Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/974

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était en feu. Enfin, dans la nuit, des pluies désirées depuis deux ans changèrent en torrens les plus petits ravins ; pendant soixante kilomètres, on fut transpercé. Par bonheur, on put coucher le soir à l’abri sous les cases des Indiens du Pretil, véritable nid d’aigles perché au sommet de rochers escarpés, espèce de forteresse construite pour soutenir le siège des guérillas. Le neuvième jour de marche, on fit halte à la Panocha, renommée par ses chevaux au sabot si résistant qu’ils n’ont jamais besoin de ferrure. La Panocha était le domaine de deux colonels libéraux du nom de Jauregui et d’Ostos, qui trouvèrent bénéfice à céder leurs produits chevalins à la contre-guérilla de passage. Le marché d’achat fut précédé de l’offre de leur soumission à l’intervention ; mais après le paiement ils eurent bientôt violé leur parole.

Le 24 août, au soleil levant, à la descente d’une colline assez raide, nous découvrîmes enfin Vittoria. Cette capitale est une ville ouverte, comme toutes les cités mexicaines. De loin, avec ses miradores aux vives couleurs, la ville paraît charmante. Couchée au pied d’une montagne élevée, dernier chaînon des hauts plateaux, elle est semée de jardins et de champs de cannes à sucre arrosés par un gros ruisseau. Sur la droite, un cimetière, vaste campo santo de construction espagnole, entouré d’une forte muraille percée de meurtrières et criblée de balles, paraît le seul point défensif et dominant.

A un kilomètre de Vittoria, le général Mejia, accompagné du général de brigade Olveira, suivi de dragons rouges au casque de forme bizarre, se portait avec beaucoup de cordialité à la rencontre du colonel Du Pin, qui avait mission d’appuyer les forces mexicaines de l’armée régulière. Arrivée sur la grande place, la contre-guérilla se forma en bataille et resta sous les armes, en attendant qu’un de ses officiers assisté de l’alcade eût pu désigner à chaque fraction les rares logemens restés disponibles après l’installation du corps d’armée mexicain, qui comptait 4,700 hommes, 800 chevaux et dix-huit pièces d’artillerie, dont six rayées. Rien dans Vittoria ne rappelait l’animation d’une cité, c’était plutôt une place de guerre. Escadrons bivouaques dans les rues, clairons et fanfares aux notes criardes, dont les Mexicains abusent surtout la nuit, canons devant le quartier-général, postes et sentinelles presque à chaque demeure, avanzadas hors de la ville, tout cet appareil donnait un aspect des plus sinistres à la capitale du Tamaulipas. On jugera des dispositions qui nous y accueillirent par un épisode où je fus engagé personnellement. L’officier commandant un des deux escadrons de la contre-guérilla, désigné pour préparer le logement de la troupe, avait reçu avis de se présenter dans la maison du négociant don Ignacio Iguera, située au coin de la place principale.