était appelée à des marches rapides, impossibles de jour à cause de la température humide et constante de trente-cinq degrés qui régnait dans ces parages, n’emportait avec elle aucun bagage. Les arrieros seuls conduisaient des mulets chargés de maïs destiné à la nourriture du soldat et des animaux pendant dix jours. La contre-guérilla, composée de tempéramens robustes et éprouvés, ne vit mourir en quatorze jours de marche que quatre hommes, qu’on enterra au bord du bois en murmurant une prière ; mais pas une étape ne s’achevait sans qu’au soleil naissant quinze ou vingt cavaliers et fantassins ne tombassent subitement asphyxiés ou frappés d’accès pernicieux, suivis d’un délire immédiat auquel ils eussent succombé sans de prompts secours. Quarante et quelques kilomètres parcourus chaque nuit dans des défilés de bêtes sauvages, à travers bois et marécages, sans trouver une goutte d’eau sur notre parcours, du maïs écrasé par nos mains et cuit sur la gamelle, de la viande encore chaude provenant du maigre bétail trouvé et abattu au rancho qui servait de bivouac, voilà un léger aperçu de la vie que nous menions dans ce pays nouveau. Nulle part la moindre trace d’industrie ou d’agriculture. Fréquemment on foule aux pieds des tas de pierres écroulés, souvent surmontés d’une croix grossière plantée à la hâte et indiquant le théâtre de quelque meurtre. Les routes n’existent que sur la carte officielle, où elles sont pompeusement tracées, et l’unique mesure kilométrique connue des naturels est marquée par un crâne de cheval blanchi aux intempéries de l’air et accroché par la mâchoire à une branche d’arbre. Cette mesure primitive est presque l’équivalent de notre lieue de terre.
De Tancasnequi à Vittoria, les haciendas sont en complète décadence. Faute d’irrigations, les cultures de maïs étaient restées stériles, et la fanega (90 kilogrammes environ) se payait jusqu’à dix et douze piastres, le double du prix ordinaire. La diminution des bras est aussi la cause de l’élévation des tarifs ; le Tamaulipas, qui comptait jadis de quinze à dix-huit habitans par chaque lieue carrée, en compte à peine aujourd’hui six ou sept. L’hacienda de la Concepcion, située à sept lieues de Tancasnequi, est encore une des plus fertiles, mais la population y est chétive et minée par les fièvres paludéennes. L’horizon est toujours aussi morne ; çà et là, on aperçoit quelques pousses de chênes verts et de genévriers. Le territoire fut parcouru au bruit de nombreuses acclamations parties de nos rangs, où les amateurs de chasse étaient nombreux. Des troupeaux de grands lièvres, par groupes de trois ou quatre, se levaient sous les pieds des chevaux ; ils avaient le poil plus clair que celui des lièvres d’Europe. Le Mexicain méprisant la viande de cet herbivore, qu’il accuse de trop hanter les cimetières, la race s’est propagée en toute sécurité. Depuis le départ de Tampico, l’atmosphère