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landgrave Charles prit la parole, et ce débat, qui inspirait à M. Letronne des œuvres d’une science si magistrale, ne fut pour lui que l’occasion de déployer ses rêveries[1]. M. Letronne, dans cette discussion mémorable, avait en face de lui les derniers représentans de l’archéologie du XVIIIe siècle, les disciples attardés de l’auteur de l’Origine des cultes, il ignorait sans doute que parmi ses contradicteurs se trouvait aussi le dernier représentant du mysticisme au temps de Voltaire.

Ce dernier des mystiques du XVIIIe siècle était en même temps une intelligence active, généreuse, amie de toutes les causes libérales. Ses superstitions n’avaient pas engourdi la curiosité de son esprit. Il travaillait sans cesse, et comme sa devise était : omnia cum Deo, cette piété même l’enhardissait à s’occuper de toutes choses. Il passait de l’Évangile à l’alchimie, comme il était allé de Frédéric le Grand au comte de Saint-Germain et des lacs de la Norvège aux jacobins de Paris. Illuminé candide, il voyait partout la main de Dieu. Ce fut là sa force dans certaines circonstances critiques où son grand âge aurait pu le dispenser des devoirs de l’action. En 1831, après la révolution qui oblige son neveu Guillaume II à prendre la fuite, il paraît à la chambre des députés, prête serment à la constitution nouvelle, et la présence de l’excellent vieillard est une sauvegarde pour son petit-neveu, héritier du souverain détrôné. Une de ses filles était mariée au roi de Danemark Frédéric VI. Partageant sa vie entre les contrées danoises, pleines pour lui de vivans souvenirs, et le duché de Hesse, où se perpétuaient contre son gré des traditions illibérales, il paraît bien qu’il empêcha beaucoup de mesures funestes. Il s’éteignit doucement le 17 août 1836, à l’âge de quatre-vingt-douze ans. Ce fut seulement après sa mort que commencèrent entre un gouvernement provocateur et le loyal peuple de la Hesse ces luttes douloureuses, scandaleuses, où l’Autriche et la Prusse blessèrent également tous les cœurs germaniques, la première en écrasant le bon droit, la seconde en le protégeant si mal[2].

Je ne puis terminer cette étude sans songer au rôle actif du prince de Hesse en des circonstances dignes d’être mentionnées par l’histoire, à cette curiosité tour à tour hardie ou timide, crédule ou défiante, mais toujours honnête, qui le porte vers les mystiques de son temps, et il m’est impossible de ne pas signaler en lui un type très particulier au XVIIIe siècle. Les phénomènes de ce

  1. Une de ces études de M. Letronne a paru ici même le 15 août 1837 : De l’origine grecque des zodiaques. Le mémoire du prince porte ce titre : La pierre zodiacale du temple de Denderah expliquée par S. A. le landgrave Charles de Hesse.
  2. Nous avons exposé dans la Revue ce triste épisode en dessinant la figure du général de Radowitz ; voyez la livraison du 15 avril 1851.