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royauté fut un coup de théâtre à la fois improvisé et merveilleusement monté. Dom Antonio s’était établi à Santarem ; ses partisans, les ennemis de l’Espagne, l’évêque de Guarda en tête, imaginèrent de provoquer la réunion d’une grande assemblée populaire, d’une sorte de meeting, pour délibérer sur les dangers du moment, sur la nécessité de s’armer, de se fortifier. Le jour fixé, en effet, une foule immense se rendit hors de la ville, à l’ermitage, des Apôtres, très émue, très partagée, ne sachant trop encore ce qu’on lui demandait. L’évêque commença par dire la messe, et immédiatement après, revêtu des habits sacerdotaux, il se mit à haranguer la foule avec une véhémence extrême, accusant les gouverneurs et leur trahison excitant les passions, fascinant la multitude par l’idée d’une élection populaire. « Il nous faut un chef pour nous diriger, s’écria-t-il, et où en trouverons-nous un plus digne, plus zélé, plus portugais en tout que le seigneur dom Antonio, que Dieu nous a donné pour notre salut et pour guérir tant de maux ? Qu’il soit nommé notre défenseur, et unis à lui sacrifions tout pour n’être pas Espagnols ! »

Ce fut aussitôt un effroyable tumulte de cris, d’acclamations, d’injures, de menaces qui volaient dans l’air. Les uns prétendaient que c’était une inspiration d’en haut ; les autres, — et parmi eux les chefs de la ville, le corrégidor, l’alcade, — s’écriaient qu’ils ne voulaient pas d’un bâtard chassé par le cardinal, que c’était une trahison. La confusion était extrême lorsqu’un artisan, mettant un mouchoir au bout d’une épée nue et dominant de la voix toutes ces voix irritées, poussa le cri qui, deux siècles auparavant, avait fait roi le bâtard d’Aviz : « Realn real, pour dom Antonio roi de Portugal ! » Les amis du prétendant répondirent par une formidable explosion, et la multitude surprise en fit autant, entraînée par le bruit, par la nouveauté, par la passion du moment. L’évêque de Guarda suivait avec la sérénité d’un habile conspirateur cette scène étrange, où les armes sortaient déjà du fourreau et menaçaient ceux qui s’opposaient à l’élection. L’évêque arrêta la violence à temps. La mêlée n’aurait pas tardé à devenir sanglante, si le prieur de Crato, qui s’était un moment dérobé à cette scène, n’eût paru à cheval, le bâton à la main, avec une garde de quarante arquebusiers. La foule se calma en voyant celui à qui elle faisait ainsi une équivoque couronne, et dom Antonio, précédé d’un porte-drapeau, rentra dans Santarem roi par la grâce du peuple, à la tête d’un immense et bruyant cortège. Rien n’y manqua, ni les prières à l’église, ni le serment de fidélité aux lois du royaume, ni les libéralités de joyeux avènement. De là dom Antonio partit aussitôt pour Lisbonne, où il fit son entrée avec cent hommes de pied et cent chevaux, et où il se fit couronner de la même manière, au milieu des mêmes cris de la populace et de l’inquiétude visible du reste des habitans. À Setubal,