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dire en ses bras, s’attacher, s’imposer à lui, comme si un ordre exprès du ciel lui eût envoyé ce disciple attendu depuis des années. Le vieux comédien se retrouve tout entier dès cette singulière entrée en matière.


« Je vis à mon retour à Altona le fameux comte de Saint-Germain, qui parut se prendre d’affection pour moi, surtout lorsqu’il apprit que je n’étais point chasseur, ni n’avais d’autres passions contraires à l’étude des hautes connaissances de la nature. Il me dit alors : « Je viendrai vous voir à Slesvig, et vous verrez les grandes choses que nous ferons ensemble. » Je lui fis comprendre que j’avais bien des raisons pour ne point accepter dans le moment la faveur qu’il voulait me faire. Il me répondit : « Je sais que je dois venir chez vous et que je dois vous parler. » Je ne sus aucun autre moyen pour éluder toute autre explication que de lui dire que le colonel Koeppern, qui était resté en arrière malade, me suivrait dans une couple de jours, et qu’il pourrait lui en parler. J’écrivis alors une lettre à Koeppern pour lui dire de prévenir et de dissuader au possible le comte de Saint-Germain de venir ici. Koeppern arriva à Altona et parla avec lui, mais le comte lui répondit : « Vous pouvez dire ce que vous voudrez ; je dois aller à Slesvig, et je n’en démordrai point. Le reste se trouvera. Vous aurez soin de me tenir un logis préparé. » Koeppern me dit ce résultat de leur conversation, que je ne pus approuver. Au reste, je m’étais beaucoup informé de cet homme extraordinaire à l’armée prussienne, où j’avais parlé de lui particulièrement avec le colonel Frankenberg, mon ami. Celui-ci me dit : « Vous pouvez être persuadé que ce n’est pas un trompeur, et qu’il possède de hautes connaissances. Il était à Dresde ; j’y étais avec ma femme. Il nous voulait du bien à tous deux. Ma femme désirait vendre une paire de boucles d’oreilles. Un joaillier lui en offrit une bagatelle. Elle en parla devant le comte, qui lui dit : « Voulez-vous me les montrer ? » Ce qu’elle fit. Alors il lui dit : « Voulez-vous me les confier pour une couple de jours ? » Il les lui rendit après les avoir embellies. Le joaillier, auquel ma femme les montra ensuite, lui dit : « Voilà de belles pierres ; elles sont tout autres que les précédentes que vous m’avez montrées ! » et lui en paya plus du double.

« Saint-Germain arriva peu après à Slesvig. Il me parla des grandes choses qu’il voulait faire pour le bien de l’humanité. Je n’en avais aucune envie, mais enfin je me fis un scrupule de repousser des connaissances très importantes à tout égard par une fausse idée de sagesse ou d’avarice, et je me fis son disciple. Il parlait beaucoup de l’embellissement des couleurs, qui ne coûtait presque rien, de l’amélioration des métaux, ajoutant qu’il ne fallait absolument point faire de l’or, si même on le savait, et resta absolument fidèle à ce principe. Les pierres précieuses coûtent l’achat, mais quand on entend leur amélioration, elles augmentent infiniment en valeur. »


Ainsi voilà le prince de Hesse devenu le disciple du comte de Saint-Germain. Est-ce donc une dupe que le prince Charles ? Serait-il exposé par sa loyauté candide, comme d’autres par leur superstition, à être le jouet des mystificateurs ? Je suis obligé de