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UN
PRINCE ALLEMAND
DU XVIIIe SIECLE
D'APRES DES MEMOIRES INEDITS

II.
CHARLES DE HESSE ET LES ILLUMINES.

Il y a dans les mille et une scènes de Gil Blas un personnage trop peu remarqué, chez lequel on voit les hardiesses de la libre pensée unies de la façon la plus singulière aux niaiseries de la superstition. Vous rappelez-vous l’histoire de la marquise de Chaves ? On dirait un pressentiment des dernières aventures du XVIIIe siècle, on dirait l’image anticipée de cette fièvre de mysticisme ou du moins de ce besoin de thaumaturgie qui saisit la société européenne entre la mort de Voltaire et les premiers jours de la révolution. La marquise de Chaves vit entourée des plus beaux esprits du monde, poètes, savans, philosophes, disputeurs à outrance. « Et Dieu veuille que la religion ne soit pas intéressée dans la dispute ! » Sa maison est appelée par excellence « le bureau des ouvrages d’esprit ; » son nom, répété en tout lieu, « emporte l’idée d’un génie supérieur. » Notez pourtant le trait final : aux heures où la marquise est seule, on voit souvent entrer chez elle un petit homme contrefait, bossu, et d’une assurance imperturbable. « Je viens parler à M’ne la marquise. — De quelle part ? — De la mienne, » Et il passe. Gil Blas, qui l’introduit, est tout stu