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qui était une condition de la paix et le moyen de rentrer en possession de ce qu’il avait si opiniâtrement demandé et de ce qu’il arrachait avec tant de peine au monarque captif ; mais pour donner à François Ier la reine de Portugal il fallait la refuser au duc de Bourbon. L’engagement envers celui-ci était ancien, formel, et jusque-là Charles-Quint n’avait pas eu la pensée d’y manquer. Le duc de Bourbon comptait sur la fidèle exécution de cet engagement, et le chancelier Gattinara en déclarait la rupture impossible. Comment faire renoncer le duc à un mariage depuis si longtemps convenu, qui était pour lui un honneur éclatant et comme le gage certain d’une souveraineté indépendante ? Aussi, loin d’obtempérer à un semblable arrangement, il s’en plaignit tout haut. Il dit qu’il avait perdu ses états à cause de l’empereur et pour son alliance, qu’il aspirait moins à recouvrer son ancienne grandeur qu’il ne tenait à la parenté qui lui avait été offerte[1], et que ce serait étrangement reconnaître les sacrifices qu’il avait faits et payer les services qu’il n’avait cessé de rendre que de lui refuser celle qui lui avait été si solennellement promise. L’empereur, placé entre sa parole et sa politique, était fort embarrassé. Il consulta la volonté de sa sœur. Lorsque la duchesse d’Alençon l’avait demandée la première fois en mariage pour François Ier, la reine Éléonore, alors en pèlerinage à Notre-Dame-de-Guadalupe, avait annoncé que la volonté de l’empereur serait la sienne. Lannoy était plus que jamais en lutte ouverte avec Bourbon, qui le détestait autant qu’il en était haï. Ils avaient eu les plus vives altercations en présence de l’empereur soit au sujet de l’expédition de Provence, où Bourbon prétendait avoir été abandonné par le vice-roi, soit au sujet de la campagne d’Italie, où Bourbon taxait le vice-roi de faiblesse avant la bataille, d’orgueil après la victoire. Lannoy, aussi prononcé pour la paix avec François Ier et aussi favorable à sa délivrance que le chancelier Gattinara[2] était bien porté pour le duc de Bourbon et trouvait conforme à une bonne politique d’affaiblir François Ier, Lannoy fit demander à la veuve du roi de Portugal si elle voulait devenir reine de France ou être la femme d’un duc fugitif. Éléonore eut une volonté cette fois, et sans hésitation elle déclara sa préférence pour

  1. Lettre du nonce B. Castiglione, écrite de Tolède, le 9 décembre, à l’archevêque de Capoue N. Schmberg. — Lettere del conte Baldessar Castiglione, Padova 1769, in-4o, t. II, p. 8.
  2. Le chancelier Gattinara voulait que le mariage de la reine Éléonore se fit avec le duc de Bourbon. Il y insistait, « even so far as to incur the displeasure of the emperor by sayng that he had trained the duke out of France only upon hope of that marriage, and that now breaking it off would be to dishonour of the emperor. » Dépêche du docteur Lee à Henri VIII, du 20 janvier, à Tolède. — State Papers, t. VI, p. 521 et 522, note 2.