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France et qu’il comblait de félicitations et de promesses le grand traître qui l’avait servi en combattant contre son pays et en aidant à vaincre et à prendre son roi, le triste prisonnier, qui ne pouvait pas sortir de captivité à des conditions acceptables, et qui ne voulait pas donner pour rançon une partie de son royaume, cherchait à s’évader par des moyens peu dignes d’un roi. Au moment même où l’on négociait pour la troisième fois avec la certitude que les propositions des commissaires français seraient repoussées, tout était disposé mystérieusement pour l’évasion de François Ier. Un capitaine mantouan nommé Emilio Cavriana, qui avait été au service du roi, parcourait l’Espagne, comme beaucoup d’autres, à l’aide de la trêve, sans exciter de soupçons. Par ses soins, des chevaux avaient été placés de distance en distance pour faciliter la fuite du roi[1]. Mais comment échapper à la surveillance d’Alarcon et sortir de l’Alcazar à travers les soldats qui le gardaient ? Un esclave nègre qui était chargé d’entretenir le feu dans la chambre du roi, et qui entrait et sortait librement sans que les gardes fissent attention à lui, fut facilement gagné. Le roi, après s’être teint en noir le visage et les mains, devait prendre les vêtemens du nègre et le laisser dans la chambre à sa place, en profitant pour s’évader de l’obscurité du soir. Le subterfuge n’était pas noble, mais il était sûr. François Ier quittant l’Alcazar sans être aperçu, ayant une nuit d’avance pour fuir, se servant des chevaux qui avaient été échelonnés dans cette intention, pouvait arriver à la frontière sans être atteint et la franchir sans qu’on y fût prévenu assez à temps de sa fuite pour l’empêcher de pénétrer en France. Le secret de ces préparatifs d’évasion n’était connu que de ceux qui devaient y concourir. Il fut livré non par trahison, mais par vengeance.

La Rochepot, frère du maréchal de Montmorency et l’un des gentilshommes venus auprès du roi, se prit de querelle avec Clément Le Champion, valet de chambre de François Ier, et lui donna un soufflet. Cet outrage, dont le valet de chambre ne put obtenir réparation d’un Montmorency, le mit hors de lui, et, ne pouvant pas se venger du grand seigneur qui l’avait si gravement insulté, il trahit le roi. Il courut à Tolède et révéla les projets d’évasion dont il avait la confidence, et auxquels l’empereur ne voulait pas croire[2]. Charles-Quint s’étonna que François Ier consentît à prendre, pour fuir, un déguisement si indigne d’un grand prince comme lui[3]. Il

  1. Lettre de Nicolas Perrenot à l’archiduchesse Marguerite, écrite le 18 novembre de Tolède. — Dans Négociations entre la France et l’Autriche, t. II, p. 644.
  2. Sandoval, t. Ier, liv. XIII, § 18. — Ferreras, t. XI, p. 51.
  3. « No se podia persuadir que un principe como el rey de Francia quisiesse intentar cosa tan fea. » — Sandoval, ibid.