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parlé. « Tout, dit-il, doit être sacrifié sur l’autel de la patrie. Nous prouverons bien à Lincoln que nous sommes ses maîtres. On verra bientôt que Sherman a conduit en Géorgie sa dernière armée. Avant l’été, ce sera l’ennemi qui nous mendiera des conférences et des occasions de lui dicter nos lois. » MM. Benjamin, Hunter, Oldham, d’autres encore, ont parlé, tandis que les journaux faisaient feu de toutes leurs batteries. La Sentinelle, dans un article éloquent et insensé dû à la plume de Jefferson Davis lui-même, fait appel aux souvenirs de l’histoire romaine, et propose aux rebelles l’exemple des héroïques vaincus de la bataille de Cannes. « Les lâches, dit l’Examiner, doivent être pendus à la lanterne. — On ne peut, dit l’Enquirer, nous ravir le droit de remplir une tombe glorieuse. » Puis des indignations burlesques : « sommes-nous des rebelles ? sommes-nous des traîtres ? » Le dessein du président Davis en jouant cette comédie pacifique apparaît dans son audacieuse et habile impudence : il a voulu clore la bouche aux amis de la paix et mettre encore une fois le feu à l’opinion publique. Il a momentanément réussi. Stephens, résigné à la guerre, va, en docile instrument d’une politique qu’il déteste, révolutionner la Géorgie. Lee fait blanc de son épée ; le peuple de Richmond est revenu au fanatisme des premiers jours. Malheureusement ces grands coups de théâtre sont bien connus ; on appelle cela fire the southern heart (enflammer le cœur du sud), et chacun de ces beaux incendies a toujours laissé des cendres et des ruines. Tandis que Jefferson Davis poussait à Richmond son cri de guerre, répété par dix mille voix, Sherman coupait à Branchville le chemin de fer d’Augusta à Charleston, et la gauche de l’armée du Potomac faisait autour de Petersburg un de ces mouvemens modestes qui, deux ou trois fois répétés, intercepteraient les communications de Lee. Tandis qu’on se préparait à prendre des mesures rigoureuses contre les déserteurs et les réfractaires, ils n’en occupaient pas moins les montagnes de la Caroline du Nord, d’où ils donnent la main à l’ennemi. Enfin, à l’heure même où les négociations officielles étaient rompues en Virginie, la législature de la Caroline du Nord nommait pacifiquement cinq négociateurs tirés de son sein et invitait les autres états à suivre son exemple. A Richmond même, deux jours après les mass meetings belliqueux du président, le congrès, qui s’y était associé en grande pompe, repoussait unanimement la proposition renouvelée d’armer les nègres. Les négociations ont échoué avec Davis, mais elles réussiront ailleurs avec d’autres. Ceux même qui jurent de résister jusqu’à l’extermination seront les premiers à faire leur paix quand le jour viendra de faire honneur à leurs sermens téméraires.


ERNEST DUVERGIER DE HAURANNE.