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prétendent qu’on les a déçus, que Lincoln, pour attirer leurs négociateurs dans ses lignes, leur faisait croire qu’il allait humblement se soumettre à leurs conditions de paix. S’il est vrai qu’on ait voulu les tromper, ils ne s’y sont pas laissé prendre, et cet air d’innocence leur sied mal après la hautaine condescendance dont ils se sont vantés. Il serait bien étonnant d’ailleurs qu’après les avoir combattus quatre années, dans la bonne et dans la mauvaise fortune, on choisît pour s’avouer vaincu le moment même où on tient le loup par les oreilles et où on le serre à la gorge ; mais c’est peine perdue que de démontrer leur folie et de dénoncer leur mauvaise foi.

Le rapport du président Lincoln au congrès fut enfin publié, avec une lettre écrite par M. Seward à M. Adams, ministre des États-Unis près la cour d’Angleterre, et le monde put voir jusqu’où ce Tibère et ce Séjan avaient poussé le délire de la tyrannie. — Les plénipotentiaires rebelles et le président des États-Unis se rencontrèrent à Hampton-Roads, sur la rivière James, à bord du bateau à vapeur qui les avait amenés ; leur entrevue fut cordiale, franche, bienveillante ; ils burent ensemble du vin de Champagne, et quand ils se séparèrent, Seward poussa l’ignominie jusqu’à dire, à la façon américaine, à son ancien ami Hunter, qui lui serrait les mains : God bless you, Hunter ! — « Mieux vaudrait, s’écrie le Richmond Dispatch, la malédiction de l’enfer que la bénédiction de Seward ! » — M. Stephens avait commencé la conférence avec un sincère désir que la paix y fût conclue ; mais il conservait une grande illusion : il se figurait que le gouvernement des États-Unis pouvait reconnaître temporairement l’existence et la légitimité du gouvernement rebelle, lui accorder une amnistie, retirer ses armées, lui rendre le territoire auquel il prétend toujours, et attendre patiemment, sur la foi d’une promesse verbale, que les choses et les hommes fussent mûrs pour la reconstruction proposée. Dans cette attente, la confédération se serait alliée aux États-Unis pour appliquer sur le continent américain la politique de la doctrine Monroë, c’est-à-dire pour affranchir le Mexique de l’occupation des armées françaises et peut-être même s’emparer du Canada contre les Anglais. Le président Lincoln dit dans son message qu’en général les commissaires confédérés ne se sont point positivement refusés à l’union, mais qu’ils ont demandé seulement d’ajourner et de réserver le différend. M. Seward aussi dit en propres termes que M. Stephens a proposé pour compromis un traité d’alliance politique et d’action commune contre les puissances qui attaquent la doctrine Monroë. De cette façon, la guerre aux puissances européennes eût été employée comme dérivatif pour donner aux haines engendrées par la guerre civile le temps de s’effacer et de