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le journal officiel de Jefferson Davis à l’heure même où ses émissaires portaient aux fédéraux des paroles de paix et des espérances de soumission. Quelle politique était donc la sienne ? Quel dessein inconnu s’enveloppait de ce double langage, et de quel côté enfin était le mensonge ?

Il y avait, nous disions-nous, deux partis en présence à Richmond, dans le peuple, dans l’armée, dans la législature, et jusque dans le pouvoir exécutif : celui de la reddition pure et simple et du retour docile à l’Union, composé des hommes prévoyans et éclairés qui savaient combien peu de temps la corde tendue pouvait résister au poids de la guerre, et celui des fire-eaters (mangeurs de feu), composé d’une masse ignorante guidée par des chefs ambitieux et fanatiques, volontairement aveugles dans leurs efforts pour aveugler la foule. Entre ces deux factions extrêmes flottait la multitude indécise qui désirait la paix sans oser la faire et faisait la guerre sans trop la vouloir, cette multitude docile et molle dont le vice-président Stephens, intelligence sans caractère et sans volonté, était à la fois le chef et le représentant. Ces rebelles à contre-cœur sont depuis quatre ans les instrumens de la volonté puissante qui les gouverne, et à force d’y obéir ils se sont fait par habitude une espèce de dévouement à la cause qu’ils défendent. On se rappelle l’éloquent discours d’Alexandre Stephens dans la convention de la Géorgie contre la sécession, et la violence inaccoutumée avec laquelle il dénonçait alors comme des ambitieux criminels ceux dont il s’est fait depuis l’humble satellite. Aujourd’hui que les désastres essuyés par la confédération rebelle justifient sa résistance première à la sécession et que le jour de sa revanche est arrivé, M. Stephens et tous les hommes débiles qui ont suivi son exemple n’osent pas encore relever la tête et répudier une foi qui n’est pas sincère. Au lieu de montrer au peuple ce qu’ils voient, ce qu’ils comprennent, la ruine inévitable qui s’approche, et de renier le mensonge, insensé de l’indépendance, ils n’osent parler de paix qu’en prononçant ensuite ce mot chimérique qui entretient tant d’illusions funestes. Ils savent que la paix sera la soumission, le retour à la nationalité première, l’abolition des dernières traces de l’esclavage et la fin du nom confédéré, — qu’en revanche la guerre ne peut aboutir qu’à l’extermination, et qu’il ne reste plus aux survivans de cette lutte fatale qu’à se livrer eux-mêmes, en acte de repentir, à la générosité des États-Unis, ou bien à faire parade d’un faux héroïsme et à s’engloutir dans un naufrage théâtral et criminel. Ils le savent, mais ils n’osent pas le dire, et ils encouragent toujours l’espérance chimérique d’une paix à termes égaux, servant ainsi par leur opposition timide l’adversaire même qu’ils veulent