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précautions infinies, patinant sur les dalles incrustées de glace fondante. Même de jour, toutes les rues de Philadelphie se ressemblent, et il faut un œil exercé pour les reconnaître : de nuit, c’est un immense labyrinthe. Je ne tardai pas à m’y perdre, et je marchai longtemps à petits pas, faisant des efforts surhumains pour conserver mon équilibre. Pas de gaz allumé, pas d’écriteaux aux coins des rues ; çà et là seulement une lanterne pâle et une solitude obscure, sans que de ces profondeurs silencieuses mes exclamations de mauvaise humeur fissent sortir un seul policeman. La municipalité de Philadelphie, qui fait tant pour l’instruction publique, fait peu de chose pour la voirie et pour la police. Elle laisse se creuser entre les pavés rompus des trous qui forment le soir des chausse-trapes boueuses ; elle laisse l’eau et la neige s’amasser dans cette grande ville sans écoulement, sans égouts, sans pentes naturelles, sans rien pour l’assainir que l’absorption de la terre et l’évaporation du soleil. — En même temps un immense incendie commençait à embraser l’horizon et à rougir la moitié du ciel ; la voix lente et lugubre du tocsin d’alarme planait au loin sur la grande ville endormie ; on entendait par intervalles s’élever les cris stridens ou retentir sur le pavé sonore les pas précipités des escouades de firemen qui accouraient à la fête. C’est un magasin d’huile de pétrole qui vient de brûler en une heure ; mais l’huile enflammée déborde dans les rues et inonde tout le quartier d’une mer de feu. — Enfin un passant attardé me montre ma route, et je rentre à l’hôtel trempé, glacé, après mainte chute et maint faux pas, avec mes habits souillés et mes souliers en loques. A présent vite au chemin de fer, et je serai ce soir même à New-York.


12 février.

Depuis trois jours, je n’ai pas touché une plume ni un livre. Ce grand New-York est un gouffre qui dévore les heures. Cependant les événemens se pressent, s’accumulent ; l’anxiété de la paix ou de la guerre, les rumeurs contradictoires, les négociations, les ruptures, les coups de théâtre imprévus de Davis, l’approche d’une ou deux grandes batailles, enfin l’évidence d’un dénoûment prochain, d’un radoucissement forcé dans les fureurs démoniaques du gouvernement confédéré, jouent devant moi un drame tragi-comique dont l’intérêt augmente tous les jours. Comme aujourd’hui la bombe mystérieuse a éclaté et que les rapports des deux présidens à leurs peuples nous en montrent à nu l’histoire secrète, je puis vous dire les choses telles que je les ai vues, telles que les a jugées l’opinion publique, telles enfin que le résultat les montre à nos espérances désappointées.

Quand j’étais à l’armée, il n’était bruit que de l’ambassade de