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arrivait à pouvoir se croire maître du terrain. Il avait le secret de toutes les convoitises et de toutes les faiblesses. Il étendait son regard. aux provinces et à la capitale, à Coimbre, à Braga et à Lisbonne. Il allait, l’argent à la main, à travers un pays abandonné de ses chefs, et en attendant de vaincre les dernières résistances du vieux roi lui-même il prenait ce qu’il trouvait, depuis les ministres et les plus hauts fonctionnaires jusqu’aux capitaines, qui se vendaient pour deux cents ducats. Cet étrange et imperturbable médiateur de vénalité était pourtant assez clairvoyant et avait assez la science de son métier pour comprendre que ce n’était pas tout, qu’en dehors de ces négociations clandestines il y avait le pays, qu’on pouvait entourer, désorganiser, ébranler, mais qui échappait aux obscures corruptions, qui était assez ignorant pour méconnaître les bienfaits de la domination castillane.

C’était là l’énigme. Jusqu’à quel point l’action corruptrice de la politique espagnole, si facilement victorieuse en apparence, avait-elle pénétré le pays ? Elle était toute-puissante sur la grande noblesse, elle était toute-puissante encore sur la haute église, moindre dans la masse du clergé, et elle se brisait sur l’instinct national du peuple, de la gentry portugaise, de toute cette race de fidalgos répandus dans les campagnes et accoutumés à pousser le sentiment d’indépendance jusqu’à un orgueil ridicule. C’est parmi les grands du royaume que Moura trouva surtout ses prosélytes. Il y eut quelques exceptions : Pedro Barbosa, le comte Vimioso, Diogo Botelho, Figuereido, résistèrent à toutes les tentations et surent élever leur âme au-dessus des faveurs qu’on leur promettait. Dans son ensemble, cette noblesse se rua sur le marché ouvert par l’ambassadeur de Philippe II. Ruinée, affaiblie, décimée par le récent désastre d’Alcacer-Kebir, corrompue par les richesses fastueuses conquises dans les Indes et promptement dissipées, elle se précipitait vers le pouvoir nouveau qu’elle voyait venir ; elle cédait à l’orgueil d’entourer un roi puissant, de devenir l’émule de la grandesse espagnole, ou à des séductions plus vulgaires. « La gent noble va se disposant de la bonne manière, écrivait Moura ;… — grâce à Dieu, les affaires de votre majesté vont aussi bien qu’on peut désirer. La noblesse principalement est celle qui écoute le plus la raison… » João de Mascareñhas, un des conseillers du roi dom Henri, avait été des premiers ; il ne fut pas le dernier. Ils y passèrent tous par cupidité, par intérêt de caste, pour ne pas plier leur orgueil devant un Portugais élevé au trône, et ce fut à ce point que parmi les cinq gouverneurs désignés par dom Henri pour l’interrègne il y en avait au moins trois qui appartenaient à l’Espagne.

Il en était de même des dignitaires de l’église. L’archevêque de