Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/842

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeunes gens pauvres qui sont élevés dans ce palais avec tout le luxe de la richesse soient privés absolument d’éducation religieuse. Tous les dimanches, le directeur leur fait une leçon de morale et de religion naturelle où il commente l’Évangile et la Bible. On chante des psaumes, des hymnes comme dans un temple protestant. Au moment où je visitai la chapelle, la congrégation allait justement s’y réunir pour célébrer les funérailles d’un des jeunes gens de l’école. Ce pur déisme est en réalité bien voisin de la foi chrétienne.

C’est qu’il est bien difficile de faire pénétrer aux États-Unis la libre pensée à la française, le dédain philosophique qui traite la religion de chimère. En revanche, le culte laïque et abstrait qu’on professe en dépit du fondateur dans le temple élevé par lui à l’incrédulité n’a rien que d’assez conforme à l’esprit religieux de l’Amérique et d’assez acceptable pour les instincts libéraux de ses plus fervens sectaires. L’Américain en général est également contraire et à la grande ferveur des sectes intolérantes et à la révolte philosophique qui ne fleurit que dans les pays où la religion s’impose. Il fait dériver la foi des croyances individuelles, et, mettant la source de la religion dans le témoignage de la conscience de chacun, lui laisse le sentiment de l’indépendance avec celui de la vénération. Il y a toute espèce de sectes à Philadelphie : quakers, wesleyens, svedenborgiens, indépendans, anabaptistes et tant d’autres noms plus ou moins barbares, sans compter l’église catholique et les quatre ou cinq grandes communions protestantes. Je vous ai déjà montré comment cette extrême division conduit à l’abaissement des barrières de doctrines, et comment un christianisme général et philosophique ressort des diversités infinies de la société religieuse aux États-Unis. Je vous ai parlé de ces églises où, comme à Girard college, on ne s’astreint aux formules d’aucune secte, mais où l’on s’assemble pour prier et lire la Bible en commun. C’est le seul culte officiel qu’on connaisse dans les établissemens publics. Tandis que les congrégations se multiplient au point que chaque pasteur est, pour ainsi dire, le père de sa propre église, les préoccupations d’orthodoxie s’effacent, et le christianisme tombe dans le domaine public. C’est là le terme naturel, la forme la plus épurée des religions positives et la fin dernière de cette grande révolution protestante qui n’a pu s’accomplir pleinement qu’en Amérique, à la faveur d’une liberté religieuse illimitée. Si l’Américain éprouve une sorte de répulsion pour celui qui s’avoue sans croyance religieuse, c’est l’antipathie naturelle de l’homme qui a fait son lit pour l’incendiaire et le démolisseur ; mais, pourvu que vous soyez chrétien, on s’inquiétera peu de la communion où vous êtes né, et l’on s’unira volontiers à vous pour la