allait donner au monde, et en même temps il s’empressa de faire jouer tous les ressorts de sa diplomatie à Rome. La mission du dominicain trouva un froid accueil à Lisbonne ; elle ne réussit qu’à blesser le cardinal dans son orgueil de roi, dans sa fantaisie de vieillard, et peut-être n’eût-elle fait que précipiter le dénoûment, si le pape Grégoire XIII, embarrassé, flottant entre le roi dom Henri, auquel il s’intéressait, et le roi d’Espagne, dont il craignait la puissance, n’eût appelé à son secours l’immortel usage romain, — en enterrant la question dans une commission de cardinaux. La cour de Madrid, après tout, n’en demandait pas davantage. Le vieux cardinal put attendre ses dispenses qui ne devaient jamais venir ; Philippe II restait libre dans ses mouvemens, libre d’envelopper de plus en plus le Portugal dans les mailles serrées de ses méthodiques intrigues.
L’histoire a bien des scènes curieuses plus retentissantes et se déroulant sur un théâtre plus étendu, où la dignité d’un peuple est le jouet de l’astuce et de la force ; je ne sais s’il en est beaucoup qui égalent ce spectacle d’un roi concentré et actif, invisible et marchant à son but par tous les chemins, s’occupant des plus minutieux, des plus futiles détails d’une œuvre dont quelques-uns seulement ont le secret, à laquelle concourent mille acteurs qui ne se connaissent pas toujours, qui se surveillent mutuellement quelquefois. Dom Henri n’était rien, ou du moins ce n’était qu’une ombre de roi gardant une place qui allait être vide ; c’est le pays même que la politique espagnole attaquait et pressait de toutes parts, faisant rédiger des mémoires, opposant des apologies aux manifestes portugais, envoyant des ingénieurs pour observer les côtes et les places fortes, des moines pour prêcher, des agens pour espionner, se mêlant aux mouvemens populaires, employant l’intimidation ou la flatterie, parlant le langage de la politique ou des intérêts. Aux uns on promettait des dignités, des honneurs, des charges à la cour, aux autres des commanderies, des bénéfices ecclésiastiques en Espagne ; à ceux-ci, gens de trafic et de commerce, accoutumés aux grandes aventures de la mer, on offrait la liberté, de navigation dans les Indes espagnoles ; à ceux-là, gens de la terre et des provinces, on montrait les avantages de la suppression de la frontière. Au pays on promettait la conservation de son autonomie, de ses lois, de ses privilèges nationaux, à Lisbonne on laissait entrevoir la possibilité de devenir un grand entrepôt commercial et maritime. Pour ceux qui en voulaient surtout, on avait de l’argent.
Christovão de Moura s’entendait merveilleusement à cette corruption en grand. « A ceux qui me parlent clair sur cette matière, et ils sont assez nombreux, disait-il, je propose honneurs et profits. Dieu les éclaire pour qu’ils y entendent ; avec quelques-uns, j’ai vu ce