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tyrannie et de spoliation : c’est la force des choses, c’est la justice des événemens qui l’a voulu. L’influence ne s’éternise jamais dans les classes oisives et inutiles ; le haut du pavé est à qui sait le prendre, à qui seul le mérite : il reste toujours au plus énergique et au plus actif.

Sauf cette rue commerçante, le bas Baltimore est laid et sordide, comme le bas New-York. Des ruelles étroites et boueuses découpent irrégulièrement les vastes massifs que séparent les grandes rues. Le dessin même en est fantasque et tortueux. C’est le quartier des matelots, des nègres, des castaways, et en général de toute la population pauvre de la ville. Je tourne au hasard vers la droite, et Liberty-street me ramène droit à mon hôtel. — A demain un coup d’œil rapide à l’intérieur de la société de Baltimore. Avant de vous introduire dans la ville morale, j’ai voulu vous montrer la ville de brique et de plâtre, et nous ne la quitterons pas sans faire un second tour de découverte au-delà de la grande rue, vers les lointains quartiers du sud.

Ils sont bruyans, encombrés, boueux, et plus semblables qu’ailleurs à nos ports de mer européens. Les vaisseaux y mouillent dans des bassins creusés de main d’homme et bordés de quais comme au Havre ou à Marseille. Je ne sais quel air méridional y rappelle cette dernière ville. Une nombreuse population noire, toujours originale dans sa laideur, y donne du pittoresque à la saleté même. Plus loin s’étend un quartier aux rues larges, aux maisons basses et misérables, occupées par la partie pauvre et émigrante de la population. La langue allemande y domine, et la platitude de ce faubourg me ramène en hâte vers la haute ville. Il n’y a dans l’architecture des maisons de Baltimore qu’un seul trait remarquable et caractéristique : elles sont souvent ornées du haut en bas de grandes verandahs en fer moulé, travaillées à jour, avec des colonnettes, des entablemens et des dentelles de fonte, et formant à chaque étage un grand balcon circulaire. Telle est la façade de l’hôtel Barnum et de plusieurs autres édifices qui veulent être élégans. On dit cette ornementation fort commune à Charleston, à Savannah, à Augusta et dans, les autres cités du sud, surtout dans les quartiers aristocratiques, où les habitations entourées de jardins, avec leurs balustrades entrelacées de vigne et de fleurs grimpantes, donnent aux villes mêmes un air de gaîté champêtre.


1er février.

Grand et glorieux événement ! Hier soir, à l’heure même où je me promenais dans Baltimore, l’amendement constitutionnel abolissant l’esclavage était voté triomphalement au congrès, parmi les