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Sincèrement aimé le vrai libéralisme. C’était chez lui comme un don de nature. Longtemps avant qu’il entrât à la chambre, il avait fait ses preuves en ce genre. Lorsqu’en 1815, le 7 mars, Napoléon sous les murs de Grenoble fut accueilli par l’armée et la population avec un enthousiasme qui assurait son succès et décidait d’une entreprise presque incertaine jusque-là, M. Alphonse Perier, qui commandait une compagnie de la garde nationale, ne céda point à cet entraînement et refusa de s’y soumettre. L’empereur lui fit offrir le commandement de toute la garde nationale, M. Perier refusa de plus belle, sans ignorer à quels ressentimens il s’exposait ainsi. Ce n’était chez lui ni passion ni colère ; il n’était pas royaliste, loin de là, mais il jugeait le retour de l’Ile d’Elbe en ami prévoyant de son pays ; puis, quatre mois plus tard, le 6 juillet, il prenait sa revanche en défendant avec sa compagnie les remparts de la ville contre les Autrichiens.

Dans toutes les circonstances, malheureusement fréquentes, où nos institutions, nos libertés lui semblèrent menacées, il fit la même résistance. En juillet 1830, devant les ordonnances royales qu’il croyait illégales et qu’il refusait comme maire de laisser afficher ; en mars 1848, devant le despotisme de la démagogie triomphante ; en décembre 1851, devant l’urne où la France disposait de ses destinées ; en juin 1863, devant une autre urne électorale, dans cette guerre locale, mais acharnée, qu’on déclarait à son neveu, le fils de Casimir, et qui se terminait par une de ces défaites qui valent une victoire, il déployait le même caractère, toujours franc, courageux, énergique à quatre-vingts ans comme à trente. On peut dire qu’il était le type du conservateur indépendant, de cette espèce d’hommes, la force des états, et qui, si Dieu voulait permettre qu’elle pullulât jamais chez nous, nous aurait bientôt fait une France aussi libre que ce pays voisin qu’on nous invite à ne pas imiter.

Dans cette rapide esquisse, c’est seulement à la vie publique de M. Alphonse Perier que nous rendons hommage. S’il fallait peindre l’homme privé, dire ce qu’il y avait de trésors dans ce cœur et d’agrémens dans cet esprit, nous serions entraîné trop loin. C’est d’ailleurs à Grenoble, au Dauphiné, à ses concitoyens qu’appartient ce côté du tableau. Déjà nous savons par eux bien des traits inconnus qui l’honorent et qui le font bénir. Chrétien dans l’âme, fidèle à ses croyances comme à ses opinions, sa bienfaisance inépuisable ne se divulguait jamais. Ses funérailles l’ont trahi : elles ont révélé une partie de ses secrets. C’est presque respecter sa mémoire, c’est au moins satisfaire à ses vœux, que de taire ses vertus, et tout au plus laisserons-nous échapper ici l’expression du plus affectueux souvenir et de nos intimes regrets.


L. VITET.


V. DE MARS.