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pourtant quand il s’agit de représenter, c’est-à-dire, en définitive, de juger toute une période ? L’impartialité de l’auteur, excellente en soi, excellente surtout pour qui combine les choses à distance, produit aux dernières scènes du drame je ne sais quelle impression équivoque. On dirait que la conclusion de l’ouvrage pourrait être formulée en ces termes : « La révolution est finie, c’est au temps désormais à éteindre les passions, à triompher des ressentimens ; les castes, jadis ennemies, aujourd’hui nivelées, n’ont plus qu’à s’unir librement au sein du droit commun, comme le tribun et la patricienne. » Et ceux à qui on tient ce langage sont à la veille du directoire, et l’anarchie va tout remettre en question, et la dictature est inévitable : étrange moment pour annoncer la réconciliation des partis ! Cette objection qu’il est impossible d’écarter prouve combien la tâche entreprise par l’auteur offre de difficultés et de périls. La prédication des sentimens de concorde est toujours honorable dans la bouche de l’écrivain qui s’adresse à la foule ; encore faut-il que ces lieux communs arrivent à propos et ne donnent pas une fausse idée de la période qu’il s’agit de peindre. C’est en cela que la reproduction dramatique des événemens modernes exige bien autrement de précision que la peinture des âges éloignés. Il y a une tradition si vivante ! encore, nous avons sous les yeux tant de confidences, de mémoires, de documens qui parlent et protestent ! les historiens qui se renouvellent sans cesse font à l’inventeur dramatique une concurrence si redoutable ! Pour ne citer que le plus récent, ce n’était pas certes un médiocre danger à M. Ponsard d’avoir à faire représenter sa comédie au moment où M. Edgar Quinet venait de publier son livre.

Quel était le moyen d’échapper à cette comparaison ? C’était de faire avant tout œuvre d’artiste et de poète. Or c’est précisément sur ce point que l’auteur paraît le plus en défaut Nous avons fait certaines réserves en parlant de l’historien et du moraliste ; nous sommes obligé d’en faire plus encore au sujet de l’écrivain dramatique. L’action est indécise et souvent languissante ; la même scène entre le conventionnel et la jeune femme est répétée jusqu’à trois fois avec des modifications insensibles. L’étude approfondie des caractères peut-elle au moins racheter la lenteur et la monotonie de l’intrigue ? Je ne le pense pas. Si nous voulions résumer ici les traits vivans de chacun des personnages, un seul, celui de la marquise, serait en mesure de subir cette épreuve ; il y a en elle autant d’énergie que de grâce. La physionomie du tribun, qui devait concentrer tous les rayons d’une double flamme, est mollement dessinée. On sent là un travail successif, des tâtonnemens, des remaniemens, au lieu de ce fond plein et solide, produit d’une conception unique. Le style enfin appelle des objections du même genre. Clarté,