Le poète-historien, dans le Lion amoureux, mérite assurément plus d’un éloge ; il a étudié avec calme, avec impartialité le temps où il a placé son drame ; il s’efforce d’en reproduire les principaux traits suivant les conditions du théâtre. Il a même cherché dans cette étude impartialement curieuse un moyen de dissimuler le défaut d’unité que présentent, on l’a vu déjà, la conception des caractères et le développement de l’action. Plus il avait besoin de couvrir la lenteur de sa marche, plus il a pris plaisir à orner la partie accessoire de l’ouvrage. Un grand nombre de scènes ingénieuses, de personnages épisodiques, sont rassemblés avec art et donnent une image assez vraie de la France en 1795. Ces personnages sont tout à fait exempts de reproche quand l’auteur les tire du sein de la foule anonyme : le jeune émigré, tout frais arrivé de Coblentz pour assister de près au grand remue-ménage comme à une parade grotesque, aimable fou qui conspire si gaîment et qui mourra si bien ; le jacobin en carmagnole qui retire ou restitue son amitié au général Humbert suivant les péripéties du drame ; la citoyenne, tour à tour déesse dans les fêtes civiques et vivandière à l’armée, offrent des types vivans exécutés avec finesse. On n’en peut dire autant des physionomies particulières empruntées à l’histoire. Sans doute, ce n’est pas une mauvaise idée d’avoir montré le général Bonaparte sollicitant l’appui de Mme Tallien pour obtenir une armée ; cette parole brève, nette, impatiente, ce génie de l’action, ce besoin du commandement, tout cela au milieu de l’anarchie qui s’agite et de la corruption qui s’étale forme un trait nécessaire de la peinture entreprise par l’auteur ; mais que dire du général Hoche jouant un rôle de comparse ? Poétiquement parlant, le futur vainqueur d’Aréole n’est pas diminué quand on le voit errer comme une âme en peine au milieu des oisifs ; le général Hoche au contraire est-il représenté avec la grandeur qui lui appartient lorsqu’il traverse la pièce pour donner la réplique à Humbert et favoriser ses amours ? Il n’y a pas de plus haute figure que celle de Hoche dans l’histoire de la révolution ; c’est une faute contre la poésie que d’attribuer à un tel homme un rôle insignifiant.
J’ai dit que le moraliste social était animé des intentions les plus droites et que la pensée conciliante de son œuvre en était la meilleure recommandation. Toutefois sur ce point encore il y a des réserves à faire. Rien de mieux sans doute que de rendre une justice impartiale à chacun des personnages, d’honorer le patriotisme chez le conventionnel, la générosité chez la patricienne, la foi inflexible chez le vieux royaliste, l’intrépidité Souriante chez le jeune échappé de Coblentz, les bons instincts chez le jacobin brutal, le courage naïf et joyeux chez la fille du peuple ; cela suffit-il