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pures, il n’a vu de la convention que les œuvres héroïques, et dans l’exaltation de sa foi jamais faiblesse mondaine n’a entamé son âme. Or, dès les premiers mots que lui adresse la jeune veuve, cet Hippolyte se trouble, et un instant après le voilà docilement sous le joug. En vain se rappelle-t-il les humiliations auxquelles sa caste était condamnée naguère, ô fascination de la grâce ! il est soumis, il est vaincu. Tout à l’heure il repoussait son ami le général Hoche, qui voulait le conduire chez Mme Tallien ; maintenant il est décidé à s’y rendre pour y retrouver celle qu’il aime. La métamorphose semblera un peu rapide ; mais n’est-ce pas de l’amour qu’il s’agit, de l’amour qui dompte l’orgueil, qui transforme la nature, qui fait que le citoyen disparaît sous l’amant ? Puisque le lion est devenu amoureux, sans doute il est perdu. On se représente déjà la belle patricienne qui lui rogne les griffes, qui lui lime les dents. Le noir bastion de 93 capitulant devant les thermidoriennes et démantelé pièce à pièce, tel semblait le sujet attaqué par l’auteur. Nous nous trompions ; M. Ponsard avait changé ses batteries. Ce Humbert si faible au début, si facile à prendre, ce farouche personnage à qui la vue d’une femme arrache tous ses principes et qui court chez Mme Tallien afin de revoir au plus tôt l’apparition éblouissante, c’est un cœur de titan ou du moins un cœur à la Corneille ; placé entre l’amour et le devoir, il n’hésitera pas une seconde. Il y a là du premier acte aux suivans une transformation singulière, première faute contre l’harmonie de l’ensemble. Le sujet véritable, c’est le tableau du conventionnel épris d’une patricienne et qui aspire à se faire aimer d’elle sans renoncer à aucun de ses devoirs envers la patrie. Soit : le poète est libre de choisir tel ou tel aspect de la société française dans la période qu’il veut peindre, et certes la vieille lutte cornélienne du devoir et de l’amour peut être rajeunie d’une façon originale dans un monde où s’agitent tant d’inspirations révolutionnaires et de passions voluptueuses. Voyons donc comment il a su traiter son sujet et l’encadrer dans le mouvement de l’époque.

Humbert est allé chez Mme Tallien, où il doit retrouver la marquise de Maupas ; grande victoire pour la brillante Circé : tant que les derniers représentans de la révolution farouche, tant que les Spartiates du comité ne sont pas venus aux fêtes de Mme Tallien, son œuvre est incomplète. Elle réunit autour d’elle les vainqueurs et les vaincus de 89, tous ceux qui ont intérêt à empêcher le retour des violences, les uns enrichis et satisfaits, les autres ruinés et impatiens de prendre une revanche. Quel mouvement dans ces salons ! quelle, bizarre cohue ! des femmes sorties hier de prison et dont le règne recommence ; des fournisseurs qui ont gagné des