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révolution laisseront tomber leurs masques : excellente fortune pour la comédie ou la satire. Des choses gracieuses se mêleront aux laideurs morales, des épisodes touchans aux épisodes hideux. Ici les femmes ouvrant leurs salons, organisant les fêtes, annonçant le dessein de réveiller parmi nous la société polie, mais ne réussissant guère qu’à favoriser les revanches effrénées du plaisir, c’est-à-dire à précipiter la dissolution des mœurs au détriment de l’état ; là des citoyens austères, un Daunau, un Lakanal, s’efforçant de maintenir les traditions de 89 et de renouer la chaîne des travaux de la pensée. C’est le moment où Mme de Staël écrit son livre de l’Influence des passions, livre mâle et stoïque destiné à l’éducation morale des cœurs républicains ; par malheur, la jeunesse court à des leçons d’une autre sorte, et le tumulte des voluptés grossières cache la conspiration du royaliste qui insulte dans les sections la république déconcertée. C’est le moment où Daunou réorganisé l’Institut, prononce ses graves discours et semble inaugurer un âge nouveau ; hélas ! en dépit de ces promesses, la réaction est partout, non pas la réaction des Camille Jordan, des Royer-Collard, qui annoncera le retour des esprits aux doctrines libérales, mais la réaction aveugle, odieuse, altérée de vengeance, et quels lendemains elle présage au pays !

Il y a bien des sujets de comédie à puiser dans ce tableau. Celui qu’à choisi M. Ponsard atteste la noblesse de ses intentions bien plus que la précision des esprits. L’idée qui l’a frappé au milieu de tant d’élémens contraires, c’est l’idée de la réconciliation des castes. La convention et l’ancien régime, représentés par les deux personnages principaux de la comédie, s’unissent à la dernière scène ; les autres adversaires ont beau s’obstiner dans leurs pensées étroites, le poète leur rend justice et leur démontre à tous qu’ils se doivent une mutuelle estime : idée fort sage assurément, mais un peu singulière au moment où les luttes vont recommencer au sein de l’anarchie et préparer le despotisme. Le titre et les premières scènes de la comédie semblaient annoncer un sujet tout différent ; on eût dit que l’auteur du Lion amoureux voulait montrer l’action énervante des sirènes sur les acteurs du terrible drame. Humbert, le conventionnel, le secrétaire du comité, un des gouvernans de la France, est visité dans son humble mansarde par une patricienne de l’ancien régime, la marquise de Maupas, qui vient lui demander la grâce de son père. La marquise est une des reines de salon réunies par Mme Tallien et qui ont entrepris d’apprivoiser les lions. Humbert est un soldat que la vie active a préservé de toutes les chutes. La révolution l’a pris jeune, ardent, généreux, elle l’a fait grandir dans l’armée pendant que la terreur décapitait la France ; ses mains sont