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et pâle champion de l’indépendance portugaise dans cette lutte inégale. Le pays, lui, est la proie, qu’on se dispute, qui se raidit et succombe dans une convulsion de vie nationale aussitôt étouffée.

Le plus embarrasse était dom Henri. Au moment où il montait sur le trône, le pays, était accablé, livré à une de ces crises de découragement qui suivent les grandes défaites. Du rêve des entreprises d’Afrique il était violemment ramené en face de ces dures réalités : le deuil des familles, l’appauvrissement du peuple, la désorganisation des conseils, la division des esprits, l’anxiété de l’avenir. La question de succession dominait tout. Quand les Portugais se tournaient vers le débile vieillard qui venait de prendre la couronne, ils ne voyaient derrière lui que le vide, et dans ce vide la domination espagnole s’avançant comme une ombre menaçante. Pour relever le pays, pour lui rendre la confiance et la sécurité, il aurait fallu un génie que le vieux prêtre n’avait pas. Placé entre le sentiment de sa faiblesse et un reste d’orgueil royal, dom Henri se perdait en perplexités énervantes ; il voulait et il ne voulait pas, il passait de l’impatience fébrile à la prostration. Tantôt il se figurait pouvoir sauver l’indépendance portugaise ; il eut même un instant l’étrange fantaisie de paraître décidé à se marier, et il fit faire, secrètement des démarches auprès du pape pour obtenir des dispenses. À défaut de succession directe, il n’aurait pas été du moins éloigné de choisir un des prétendans portugais. Il ne prenait pas au sérieux le prieur de Crato, dom Antonio, dont il ne reconnaissait pas la légitimité, et qui l’irritait par ses velléités d’agitation populaire : ses préférences étaient pour l’énergique et intelligente Catherine de Bragance ; mais il craignait, s’il se dévoilait, de donner un prétexte à Philippe II et de provoquer une invasion espagnole qui viendrait le culbuter lui-même. Tantôt, pris de découragement et d’angoisse et se tournant vers l’Espagne, il négociait avec elle. Si Philippe avait voulu lui donner son fils en garantissant l’autonomie portugaise, il aurait accepté ; mais il n’en venait là qu’à la dernière extrémité, et il n’eût pas osé l’avouer : il craignait une explosion du pays.

La peur de laisser voir une volonté le dominait, et ce roi moribond qui n’osait pas vouloir, qui pouvait s’éteindre d’un instant à l’autre dans une défaillance, dont on se partageait déjà les dépouilles, se donnait à lui-même la comédie de rassembler des cortès, d’appeler tous les prétendans devant un tribunal chimérique, de désigner des gouverneurs pour prendre le pouvoir pendant l’interrègne et des juges pour prononcer sur le droit de succession. Il ne voulait que gagner du temps et ajourner la bagarre après sa mort. «… Quant à désigner un héritier, écrivait un jour le représentant de Philippe II à Lisbonne, je ne le crois pas tant