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rendez-vous du monde élégant de Tampico et de tous les chefs de guérillas ralliés ou déguisés, le café Reverdy. L’animation y fut grande. Reverdy seul, au milieu des menaces sourdes qui éclataient par moment contre l’auteur de l’exécution, restait souriant. Reverdy est presque un personnage qui mériterait les honneurs d’un portrait. D’origine française, établi depuis vingt-sept ans à Tampico, c’est un type curieux et amusant qui connaît toutes les traditions du pays aussi bien que les haines des partis. Ce vieillard affable vit en bonne intelligence avec tous les chefs qui successivement s’emparent de la ville et viennent se désaltérer chez lui. La maison Reverdy a résisté à la guerre des États-Unis. Grâce aux croiseurs qui bloquent rigoureusement tous les ports, les chargemens de glace ont manqué à Tampico ; malgré ce dur mécompte pour les amateurs de boissons réfrigérantes, l’établissement est toujours fréquenté, car c’est là que se traitent toutes les affaires de commerce ; c’est là qu’on apprend toutes les nouvelles du jour, qu’on entend toutes les sonneries du télégraphe qui domine la douane pour se relier avec celui de la barre, et qui, à l’aide de pavillons multicolores disposés en signaux, prévient les courtiers maritimes s’il y a vela ad sur ou al norte (voile au sud ou au nord), ou si, grâce à la mer et au vent, la barra est cruzada ou buena (si la barre est croisée ou bonne à franchir). En matière politique, Reverdy garde toujours un profond silence ; mais je le crois sceptique, car, en apprenant le départ de la contre-guérilla, qui s’en allait pacifier le Tamaulipas, il est sorti de sa réserve, il a souri légèrement et a prétendu que les millions dépensés au Mexique étaient de l’argent perdu. N’y avait-il pas un fond de vérité dans cette réflexion humoristique ? La France ne possède-t-elle pas des colonies auxquelles ces millions eussent été bien autrement profitables ? Ce qui est certain, c’est que toutes ces campagnes, tous ces combats, notre séjour même dans les villes du Tamaulipas, ne révélaient que trop à la contre-guérilla deux faits significatif : l’esprit hostile des populations mexicaines, la froideur de nos propres compatriotes, qui se demandaient avec appréhension quels seraient les résultats de tant de luttes et de fatigues.


Gle E. DE KÉMTRY.