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Tampico. Dans le nombre, on retrouva deux déserteurs mexicains. Le colonel Du Pin les condamna tous à être pendus, sur la grande place de la Douane, au farol (grand candélabre situé au centre) et aux réverbères des quatre angles. Au coucher du soleil, les trottoirs étaient couverts de curieux. Parmi les coupables étaient un père et son fils. A la lecture de l’arrêt, pas un des condamnés ne bronchât. Le prêtre récitait ses litanies : le père et l’enfant, au moment d’un adieu suprême, n’eurent même pas la pensée d’une dernière étreinte. Le jeune homme, avec un cynisme révoltent, railla la maladresse des exécuteurs, inhabiles dans l’art de manier le nœud coulant, art dont il possédait, disait-il, la pratique à fond ; puis de ses propres mains il se passa la corde autour du cou, et, comme il était gêné par les rayons du soleil, abaissé à l’horizon, il demanda comme dernière grâce qu’on lui tournât la tête du côté du levant pour ne pas souffrir de la réverbération dans ses derniers momens. La race mexicaine, métis et Indiens, est d’un calme effrayant et sinistre devant la mort. Rarement elle demande grâce à l’approche du dernier coup. Pour ces hommes, passer de vie à trépas est une petite affaire. Leur temps est fait ici-bas ? Ils ont pris la somme de jouissances et de peines qui leur était réservée. Absurde fatalisme qui nous présage de longues et terribles luttes. Jusqu’au lendemain matin, les cadavres se balancèrent au bras des lanternes sous le souffle de la brise de mer. Cette exécution causa quelque émoi à Tampico. Quoique approuvée au fond, dans la forme elle excita des plaintes qui eurent de l’écho jusqu’à Mexico. Le général en chef interdit désormais ce mode de châtiment, en vigueur du reste dans toute l’Amérique, et ordonna de déférer aux cours martiales tout guérilla pris les armes à la main.

Cette concession, dictée par des principes d’humanité, a eu de fâcheux résultats, dans un pays habitué à la pendaison et où il est nécessaire d’agir fortement sur les esprits. Ce genre de supplice, expéditif d’ailleurs, laisse après lui, une salutaire terreur. Aux yeux des Mexicains, l’exécution par le fusil est presque un honneur militaire. Le supplice par la corde n’a été inauguré par nous que lorsque depuis longtemps déjà les guérillas tuaient ainsi nos prisonniers de guerre en prolongeant le martyre de leur agonie par des raffinemens de cruauté. Malgré ces atroces sauvageries, les Français peuvent être fiers d’être restés impassibles en rendant la justice. Toujours la passion s’est tue pour laisser parler la conscience, qui seule dictait l’arrêt de mort ou de délivrance. Le soir de cette exécution, lorsque la foule fut écoulée, toutes les jalousies des maisons situées aux angles de la place de la Douane se fermèrent malgré une chaleur étouffante, excepté celles d’un café qui est le