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hostilités, M. Garagoya cumulait les fonctions d’administrateur de l’hacienda de Tancasnequi et de directeur de l’entrepôt de Tantoyuquita, ou il avait été délégué par les négocians de Tampico pour recevoir et expédier leurs marchandises. Aussi fin que poltron, il était resté à son poste malgré l’arrivée des juaristes, décidé naturellement à ne se compromettre vis-à-vis d’aucun parti. L’apparition des Français le força à sortir de la réserve que, d’accord avec l’alcade, il s’était promis de garder. Les libéraux, en abandonnant Tampico devant les baïonnettes du régiment d’infanterie de marine, s’étaient autrefois emparés des archives de la douane et de trois embarcations chargées de munitions. Le tout avait été conduit à l’hacienda de Tancasnequi ; les renseignemens étaient sûrs, les archives avaient leur prix. De plus, au nombre des embarcations enlevées se trouvait la baleinière de la Lance, qui était venue s’échouer, on le sait, à la barre de Tampico. Les guérillas avaient remis à flot cette baleinière, et, pour célébrer leur mince triomphe, l’avaient décorée en grande pompe du nom du gouverneur actuel du Tamaulipas, le général républicain La Garza. On fit de vaines recherches. M. Garagoya et l’alcade, consultés, déclarèrent avec mille sermens ne rien connaître de cette affaire.

Deux routes partent de Tancasnequi, si on peut appeler routes deux coupures dans la broussaille : l’une à l’ouest va sur San-Luis ; l’autre au nord conduit à Vittoria. A un kilomètre du bivouac, la route nord était semée de boulets tombés de voitures parties récemment. Il était évident qu’un convoi ennemi s’enfuyait vers le quartier-général de Cortina, vers Vittoria. On interrogea de nouveau l’administrateur et l’alcade. Même silence. Dès lors l’alcade fut mis au secret, et l’administrateur gardé à vue. Après un court interrogatoire à huis clos, on entendit retentir au fond du bois des cris de douleur. Deux de nos vigoureux turcos bâtonnaient à coups redoublés le fonctionnaire récalcitrant. M. Garagoya fut amené à son tour sur le terrain de l’exécution. Alors seulement les deux Mexicains demandèrent à parler ; on les écouta. Un quart d’heure après, embarcations et archives étaient retrouvées ; la comédie était jouée. L’alcade et son ami, voulant se ménager l’avenir, avaient fait comprendre à voix basse qu’ils étaient bien disposés à nous servir, mais qu’il était utile avant tout de les maltraiter publiquement pour leur laisser plus tard invoquer le bénéfice de la violence au cas où l’ennemi ferait un retour. Les deux soldats, qui avaient reçu le mot d’ordre, simulèrent une rude bastonnade : les