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ses efforts à ceux du chef de la contre-guérilla ; mais ce haut fonctionnaire, nommé Apollinar Marquez, n’avait pas voulu comprendre sa position. Dans le principe, il avait essayé sans succès de capter la confiance du capitaine Du Vallon[1], trop pénétré de la dignité nationale pour laisser l’autorité militaire s’effacer devant certaines intrigues. Au mois de juin 1864, l’harmonie entre le colonel Du Pin, qui avait repris son commandement, et le préfet n’existait plus qu’à la surface. Les mesures concertées dans l’intérêt public étaient dénaturées par M. Marquez, qui s’empressait de les rendre odieuses et se chargeait de transmettre en secret à Mexico les plaintes les plus virulentes. Aussi sept mois plus tard le préfet politique de Tampico se vit destitué par décret supérieur. Après sa chute, deux dossiers judiciaires accablans pour son administration furent apportés au tribunal. Tous ses excès d’autorité, toutes ses concussions étaient connus depuis longtemps et flétris par l’opinion publique, qui n’en était pas moins demeurée silencieuse tant qu’il avait eu le pouvoir en main. Beaucoup de fonctionnaires mexicains comprennent, il faut le dire, leur devoir comme Apollinar Marquez. Les nations sont vraiment frappées d’impuissance quand la presse et la tribune, ces deux grands échos de la conscience publique, sont devenues muettes.

A toutes ces causes de dissolution qui travaillaient Tampico s’en ajoutait une autre non moins funeste, dont l’action lente et continue se faisait secrètement sentir dans tout le Tamaulipas. Après l’heureuse campagne accomplie en 1848 par le général Scott, le vainqueur du Mexique, les Américains s’étaient retirés, mais sans cacher leurs projets d’envahissement futur. « Le fruit n’est pas assez pourri, » disaient les Yankees ; « nous attendrons la putréfaction pour repasser la frontière du Rio-Grande la cognée à la main. »

Au mois de juin 1864, les Américains avaient commencé à tenir parole. Le recrutement du général Cortina, qui venait d’ouvrir la campagne dans le Tamaulipas au nom de Juarès, avait amené déjà au quartier-général des républicains de la province, à Vittoria, bon nombre de Yankees enrôles dans les agences mêmes de New-York ou de Philadelphie. Le colonel Perfecto Gonzalès, originaire du Texas, que je fis plus tard prisonnier porteur de ses lettres de service et de proclamations incendiaires prêchant le meurtre de tous les Français, se chargeait de les amener par le Texas sur le territoire mexicain, où ils pénétraient par bandes. Ces bandes se disaient pacifiquement envoyées pour faire de gros achats de troupeaux pour

  1. Par décret du général en chef, le colonel de la contre-guérilla française avait été nommé commandant supérieur de Tampico et du territoire qui en dépendait. Le préfet politique de cette ville était donc subordonné en quelque sorte à l’autorité française.