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qui se succédaient à Mexico, qui tous avaient besoin d’argent pour se soutenir et qui croulaient comme des châteaux de cartes, les intérêts exigés par les prêteurs s’accrurent progressivement. — Ceci établi, on s’étonnera moins du taux fabuleux de 320 pour 100 en songeant que depuis la déclaration de l’indépendance, proclamée en 1821, jusqu’à la chute de Juarès, il n’y a pas eu moins de deux cent quarante et une révolutions dans le pays conquis par Cortez. Par suite de l’anarchie, le budget n’était devenu qu’un vain mot. Plus tard, sept conventions passées avec l’étranger, créancier de fortes sommes réclamées au nom de nationaux lésés, augmentèrent encore le passif de la république. Si la France, dans la convention qui fut signée par l’amiral Baudin, n’exigea pas d’intérêts, l’Angleterre fut moins généreuse : l’une de ses cinq conventions stipulait à son profit 25 pour 100 d’intérêt. Comprendra-t-on que les négociais n’aient pu voir tarir une source de pareils gains sans protester de toutes leurs forces contre un régime qui allait essayer de faire pénétrer la moralité et l’économie dans l’administration financière d’une nation dépouillée par tant de mains ?

Les ports de Vera-Cruz et de Tampico surtout avaient spéculé sur les débris de la république défaillante. Sous certaines présidences ou dictatures éphémères, l’état, pressé par la pénurie, en échange de numéraire payé comptant, avait abandonné aux bailleurs de fonds une partie de ses revenus pendant une période déterminée. Les négocians devinrent bientôt plus exigeans ; ils ne consentirent à délier leurs bourses que si l’hacienda publica (ministère des finances) leur affermait les douanes maritimes de ces deux ports, c’est-à-dire les ressources les plus liquides du trésor public. Des fortunes scandaleuses s’élevèrent en peu de temps, et la France apparut sur les rives mexicaines un peu comme Ruy-Blas parmi les nobles castillans si ardens à la curée, si prompts à oublier l’Espagne agonisante. L’hostilité de Tampico était bien plus grave encore que celle de Vera-Cruz, car les comptoirs commerciaux de Vera-Cruz ne sont que les succursales des maisons principales d’Orizaba, de Puebla, de Mexico et de Queretaro[1] ; des millions passent dans leurs caisses sans s’y arrêter. Tampico au contraire est le centre des raisons sociales qui se font représenter jusqu’au Pacifique et à la frontière du Rio-Grande par des comptoirs intermédiaires ; ces comptoirs reçoivent des ordres de Tampico, qu’ils enrichissent de toutes leurs recettes. Chaque année, avant l’occupation, en paiement des marchandises expédiées dans l’intérieur, deux ou trois conductas

  1. Pendant la guerre contre Juarès, Vera-Cruz a étendu ses relations commerciales aux dépens de Tampico, dont les communications étaient coupées. En temps normal, Tampico est la véritable route de tout le nord.