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Carbajal, caché à quelques lieues de là dans un de ses ranchos où nous devions aller le surprendre la nuit suivante.

Le combat de San-Antonio fit grand effet dans la Huasteca, et les conséquences en furent heureuses. Pendant la lutte, le village avait été fort maltraité. Plusieurs cases avaient été enfoncées et brûlées. De grand matin, les Indiens, inquiets sur le sort de leurs maisons, rentrèrent peu à peu en se glissant à travers les jardins. Quand un certain nombre d’habitans fut de retour, le colonel donna l’ordre de les amener avec douceur au camp, dont l’aspect ne leur parut pas trop farouche. Là, en compensation de leurs pertes, méritées probablement pour plusieurs d’entre eux, ils reçurent des piastres et bon nombre de chevaux ou mulets enlevés à l’ennemi. Ces braves gens restèrent ébahis de ces libéralités, habitués qu’ils étaient à toujours donner au plus fort et à ne jamais rien recevoir. Depuis un an surtout, les bandes juaristes avaient frappé le pays de réquisitions de toute nature, et les Indiens commençaient à sentir tout le poids de la guerre sainte prêchée par Carbajal. Son désastre porta un nouveau coup au prestige de ses armes, et de village en village se répandit la nouvelle que les Français étaient humains et payaient les denrées qu’ils demandaient. En outre une proclamation du colonel Du Pin, appelant la race huastèque à un prochain affranchissement, appuyée aussi d’actes de prompte justice contre des métis convaincus de cruautés commises sur leurs terres, acheva d’opérer dans cette partie du pays une réaction immédiate. Les Indiens, qui étaient descendus de leurs collines le 18 avril pour applaudir à la défaite de la contre-guérilla, qui semblait perdue vers le milieu de la journée, affluèrent à San-Antonio, offrant leurs services et leurs marchandises. Les pueblos désertés se repeuplèrent, et de bonnes provisions d’ojite[1] apportées au bivouac vinrent à propos réparer les forces des chevaux, qui étaient privés de fourrage depuis le départ de Tampico. Pour témoigner de leurs bonnes dispositions, les Indiens d’un village distant de trois lieues, — Amatlan, — appelèrent, malgré les métis, les contre-guérillas, qu’ils dirigèrent dans leur recherche de l’artillerie de Carbajal, restée en arrière. Munitions, affûts, roues et canons, tout tomba au pouvoir de la contre-guérilla, qui s’empara ainsi de trois obusiers de montagne et de deux esmeriles, petites pièces en fer montées sur pivot, qui envoient des boulets de deux livres.

Il fallut bien songer au départ de San-Antonio. La contre-guérilla avait rendu les derniers honneurs à ses morts. L’ambulance

  1. L’ojite est le fourrage de ce pays, où les pâturages sont rares et de mauvaise qualité. Ce sont les feuilles tendres et vertes d’un arbre très répandu dans certaines zones des terres chaudes, et qu’il faut cueillir à l’extrémité des branchages.