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entrer dans une ville encore amie, tomba dans nos avant-postes. Il arrivait de Vittoria. Une dépêche fut trouvée soigneusement cachée dans un morceau de viande saignante pendu à sa selle. Cortina appelait en toute hâte Carbajal sous les murs de Tampico, en lui recommandant d’éviter le combat avec les Français, qui se préparaient, ajoutait-il, à une expédition sur la rive droite du Panuco. Comme on le voit, malgré les distances, Cortina recevait d’exacts et de prompts renseignemens. De son côté, Carbajal avait levé le siège de Temapache et s’était avancé à marches forcées pour barrer le chemin à la contre-guérilla ; mais il avait été devancé dans l’occupation d’Ozuluama. Devant ce mécompte, il s’était prudemment arrêté à douze lieues de la ville indienne. Le colonel Llorente, désormais libre, n’avait pas encore donné signe de vie.

Il importait de couper toutes les communications de la Huasteca avec le Tamaulipas, il importait surtout de laisser ignorer à Carbajal les projets de Cortina, afin de pouvoir combattre séparément les deux corps avant qu’ils eussent opéré leur jonction, qui eût inévitablement amené la prise de la ville de Tampico, vouée d’avance par le général en chef juariste, d’après la dépêche interceptée, à quarante-huit heures de pillage en punition de son inertie devant l’étranger. Aussi le courrier saisi avait-il été attaché à un poteau avec de bonnes cordes et confié à la garde d’un petit poste. Vers le matin, le courrier s’évada ; ses liens avaient été tranchés par derrière. Le tirailleur Estrade, séduit par l’or du prisonnier, avait trahi ses compagnons d’armes. Le châtiment fut prompt. En présence des blessés mexicains sortis de leurs maisons, le traître fut dégradé militairement sur la place d’Ozuluama, déclaré indigne de la qualité de Français et chassé comme infâme. De la place, il fut conduit aux avant-postes, avec promesse de recevoir une balle comme espion, s’il cherchait à rejoindre le corps où il s’était volontairement engagé et dont il était expulsé à jamais. Le malheureux avait mérité qu’on le fusillât ; mais la sévérité de cette dégradation militaire et le mépris jeté à la face du coupable produisirent peut-être un meilleur effet sur une troupe qui comptait alors vingt-deux nationalités dans son sein[1], et chez qui il fallait éveiller le point d’honneur pour la mieux diriger.

Les troupes de Carbajal, qui occupaient le pays depuis plus d’un an, avaient une véritable réputation de solidité. Elles comptaient cinq bouches à feu. Dans les derniers temps, elles s’étaient recrutées de vaqueros (gardiens de troupeaux) du Tamaulipas, d’Américains du Texas et (chose triste à dire) de déserteurs français

  1. Un des types les plus curieux était un noir de Tombouctou aussi brave qu’infatigable. Il ne parlait jamais que par monosyllabes et traitait les nègres avec le plus grand mépris ; il avait peut-être été roi dans son pays.