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dire, c’est celle de la population. Quelles sont les causes qui ont, depuis vingt ans, diminué le nombre des naissances et accru le nombre des décès, de manière à rendre la population presque stationnaire ? Tel est le point précis à élucider, car sans consommation point de production, et sans population point de consommation. Nous avons dit souvent notre avis, nous n’y reviendrons pas ; nous appelons seulement sur ce grave sujet toute l’attention de ceux qui peuvent être invités à déposer dans l’enquête. Il serait bien à regretter que ce point fondamental disparût sous les accessoires.

On a déjà, cherché et on cherchera probablement encore à passionner ce débat en opposant les intérêts des consommateurs à ceux des producteurs. C’est là une tactique facile que les représentans de l’agriculture doivent déjouer. Il n’y a entre ces deux grands intérêts aucune opposition réelle : les consommateurs n’ont pas plus à gagner à la ruine des producteurs que les producteurs à la ruine des consommateurs, ou pour mieux dire producteurs et consommateurs se confondent, car tout le monde produit et consomme à la fois. Pour rendre l’économie politique odieuse à ceux qui portent le poids du travail, on a prétendu qu’elle ne s’inquiétait que du bon marché ; il suffira, pour démontrer le contraire, de citer ce qu’écrivait, il y a plus d’un siècle, le fondateur de l’économie politique en France, le sage Quesnay : « Qu’on ne croie pas que le bon marché des denrées est profitable au menu peuple, car le bas prix des denrées fait baisser le salaire des gens du peuple, diminue leur aisance, leur procure moins de travail et d’occupations lucratives et anéantit le revenu de la nation. Qu’on ne diminue pas l’aisance des dernières classes de citoyens, car elles ne pourraient pas contribuer à la consommation des denrées. »

La vie à bon marché est le premier des biens pour un peuple, mais on ne peut obtenir la vie à bon marché que par la prospérité de l’agriculture. Il faut donc éviter avec le même soin ce qui tend à faire baisser artificiellement les prix que ce qui tend à les faire monter sans nécessité. C’est ce que voulait dire Quesnay dans un temps où tous les efforts de la législation n’avaient qu’un but, — le bas prix des grains, sans songer aux conséquences qu’un extrême avilissement pouvait avoir pour l’exploitation, du sol et pour la condition de la population laborieuse.


LEONCE DE LAVERGNE.