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l’Angleterre et la Belgique les achèteraient à votre défaut, et réduiraient d’autant leurs demandes de blés français. La Russie elle-même, si elle vous vend des blés, vous achète autre chose, et si vous vous barricadiez contre ses produits, elle se barricaderait contre les vôtres. Vous auriez le mauvais renom qui s’attache à tout calcul égoïste, surtout en matière de subsistances, et vous n’en auriez pas le profit.

Nous avons nous-même parlé des premiers d’un droit fixe, soit dans les discussions de la Société centrale d’agriculture en 1859, soit dans l’enquête devant le conseil d’état en 1860 ; mais il faut, pour donner à ce droit son véritable caractère, commencer par déraciner dans son esprit toute idée de prohibition ou de protection, accepter complètement l’importation des blés étrangers, la désirer même, et ne chercher dans le droit fixe qu’une perception fiscale, un impôt qui n’apporte aucune entrave sérieuse à l’importation, qui ne justifie aucune atteinte portée à la liberté d’exportation, et qui puisse être maintenu en temps de cherté, parce qu’il n’impose aux consommateurs qu’une charge insensible. Ce n’est pas un droit de 5 francs, ni même un droit de 4, de 3, de 2 francs l’hectolitre, qui répond à ces conditions.

Quand le droit actuel de 50 centimes par quintal métrique de blé importé par navire français a été proposé, nous nous sommes permis de le critiquer comme insuffisant ; voici ce que nous disions[1] : « Ce droit devrait, selon nous, être au moins doublé pour représenter la contribution du blé étranger aux frais de notre organisation nationale. Depuis la lettre impériale du 5 janvier 1860, le gouvernement fait une guerre à mort aux droits de douane ; 100 millions de recettes annuelles ont ainsi disparu du budget. Ce serait un bien, si 100 millions de dépenses avaient disparu en même temps ; mais, comme les dépenses ne font que s’accroître au lieu de diminuer, ces 100 millions et bien d’autres encore n’ont fait que changer de forme. Ce que paient en moins les produits étrangers, les produits français doivent le payer en sus. Nous ne comprenons pas, quoique partisan très déclaré de la liberté commerciale, cette faveur accordée aux produits étrangers aux dépens des nôtres. Qu’on efface jusqu’aux dernières traces du système protecteur, rien de mieux ; mais il est bon de maintenir les perceptions fiscales qui ont pour but de répartir le fardeau de l’impôt. Décharger la douane pour charger à l’intérieur les contributions, c’est sortir de la justice et de l’égalité, c’est faire de la protection à rebours. En même temps qu’on réduit à 50 centimes le droit sur le froment et sur le méteil, on affranchit de tous droits le seigle, le

  1. Voyez la Revue du 15 avril 1861.