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jusqu’à 5 francs l’hectolitre ; ce dernier droit ne serait pas seulement protecteur, il serait prohibitif, car certainement aucun hectolitre de blé étranger n’entrerait en France, si aux frais de production et de transport il fallait ajouter un droit de 5 francs. C’est là une nouvelle illusion qu’il importe de dissiper.

Premièrement, un pareil droit rencontrerait une résistance invincible de la part de la marine marchande, pour qui le transport des céréales est un élément considérable de fret. La ville de Marseille, qui reçoit tous les ans pour 40 millions au moins de céréales et qui dans les années de disette voit presque décupler ce chiffre, ne renoncerait pas aisément à cet immense trafic, et rencontrerait un puissant appui dans tous les intérêts liés à la prospérité de notre commerce maritime.

Secondement, en admettant qu’un droit de ce genre fût établi par la loi, le gouvernement ne manquerait pas de le supprimer à la première disette, et il ferait bien, car l’exclusion des blés étrangers amènerait alors une véritable famine. Une fois supprimé, comment pourrait-on le rétablir ? On retomberait dans les embarras et les incertitudes de l’échelle mobile.

Troisièmement, ce droit, impossible en temps de cherté, n’aurait en temps de bon marché aucune efficacité. Croit-on que si, dans l’année qui vient de s’écouler, on avait hermétiquement fermé nos ports aux 2 millions de quintaux métriques qui se sont présentés, on eût relevé le prix à l’intérieur d’une quantité appréciable ? Ceux qui espèrent qu’en mettant à l’entrée des blés étrangers un droit de 3 francs par exemple, on relèvera de 3 francs le prix des blés français, se trompent complètement ; c’est la quantité importée qui agit sur les prix et non le droit perçu, et quand cette quantité est aussi faible qu’en 1865, l’action en est insignifiante.

Quatrièmement enfin, on paraît croire qu’en rendant l’importation impossible on conservera les bénéfices de l’exportation ; c’est une erreur. On peut être certain que, si par hasard un droit prohibitif ou seulement protecteur était adopté, les représentans des consommateurs réclameraient, et obtiendraient des restrictions à l’exportation, et même en temps de cherté une prohibition absolue. On perdrait d’un côté ce qu’on gagnerait de l’autre, et ce n’est pas là encore l’argument le plus décisif. Quand même les pouvoirs publics ne prendraient aucune mesure pour arrêter l’exportation, elle se restreindrait d’elle-même dans le rapport des entraves mises à l’importation. L’importation et l’exportation sont solidaires ; qui touche à l’une touche à l’autre. Ces blés étrangers que vous auriez écartés de vos ports ne seraient pas détruits, ils reflueraient sur le marché général, où ils feraient concurrence aux vôtres ;