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sang et d’intérêts, la nature des choses, une suite de mariages royaux combinés pour fondre les droits dynastiques. Telle est la fortune des fusions et des annexions. L’une s’accomplit toute seule au moment voulu ; elle semble conduite par un génie facile et heureux qui triomphe en courant, profite de tout, passe à travers tout, et fait en quelques mois ce que mille ans n’ont pu faire. L’autre se heurte à tout et ne réussit à rien : elle ne peut même arriver à recruter assez d’adhérens pour faire un parti ; elle n’est pas même une conspiration un peu vivace. Vainement on invoque la nature des choses, les intérêts d’une grandeur commune : les traditions d’antagonisme, les passions sont plus fortes et compriment toutes les velléités unitaires. Vainement, il y a peu d’années encore, des tentateurs allaient murmurer à l’oreille du roi dom Pedro, le jeune souverain philosophe qui est mort en faisant son devoir, de ces mots qui excitent un prince à oser : le jeune souverain ne s’y laissa pas prendre ; il ne voulait ni annexer le Portugal à l’Espagne ni annexer l’Espagne au Portugal. Il y a mieux : le plus léger soupçon d’un complot d’unité entre les deux peuples fait pousser des cris dans les deux camps, comme s’il ravivait une vieille plaie, la plaie inguérissable de quelque union mal assortie qui n’est pas oubliée.

C’est le passé qui conduit au présent par un courant ininterrompu et mystérieux ; c’est souvent aussi le passé qui pèse sur le présent et le contrarie. L’histoire ne serait qu’une épaisse et monotone confusion, si elle ne s’éclairait de ces contrastes, de ces diversités de fortune dans les combinaisons humaines ; elle ne serait qu’une énigmatique et décourageante immoralité, si tout ce qui arrive dans le conflit ou le mélange des races ne s’expliquait que par le hasard du moment et par l’audace, son éternelle complice. La vérité est que, dans ses contradictions et ses hasards apparens, le mouvement des choses ne fait que réveiller et renouveler, sans les créer, tous ces problèmes de formations nationales, de fusions, d’annexions, qui ont si souvent troublé la politique et la troubleront encore, qui éclatent quelquefois d’un bond subit et parfois aussi dorment pendant des siècles au plus profond de la vie des peuples. Quand des esprits à Madrid et à Lisbonne, — à Madrid bien plus qu’à Lisbonne, — échauffés au spectacle de ce que l’Italie a pu faire, ou peut-être aigris des déceptions du présent, rêvent une fusion des deux royaumes, image de l’unité italienne, ils ne disent rien de nouveau, rien que l’avenir désavoue absolument ; mais ils déplacent la question : ils devraient se demander comment cette unité ibérique n’existe pas depuis longtemps, comment, lorsqu’elle a existé, elle n’a point duré, comment enfin ce qui a été si facile et si prompt au-delà, des Alpes est devenu si difficile au-delà des