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par quintal métrique ; mais une fiction tolérée par l’administration permet de l’éluder. Tout blé étranger importé en France pour être réexporté à l’état de farine est admis en franchise, et, comme il sort beaucoup plus de farines qu’il n’en entre, les importateurs. prétendent que tous les blés introduits sont réexportés, ce qui est accepté par l’administration des douanes ; le droit devient donc absolument nominal. Ainsi, même avec la franchise absolue, voilà tout ce qui a pu entrer dans les onze premiers mois de 1865, le tiers à peu près de ce qui est sorti. Dans les 2 millions de quintaux métriques de froment importé, la Russie figure pour 873,000 quintaux ; c’est tout ce que cette Russie tant redoutée a pu nous vendre, — la consommation de la seule ville de Marseille ! L’Angleterre au contraire nous a acheté pour plus de 70 millions de grains et farines, et ses achats pour l’année entière s’élèveront à 80 millions. Il est impossible, en présence de pareils faits, d’attribuer à la liberté du commerce une action quelconque pour faire baisser les prix.

Ceux qui veulent absolument s’effrayer répondent que les prix ne baissent pas en proportion de ce qui entre, mais de ce qui peut entrer. « Sans doute, disent-ils, il est entré peu de blés étrangers ; mais, si les prix haussaient, il en entrerait davantage, et c’est ce qui maintient les bas prix. » On a peine à comprendre cet argument, qui rencontre cependant une assez grande faveur. On n’a jamais vu que les prix sur un marché fussent affectés par des marchandises qui n’y sont pas, dont l’existence même est problématique. Ces blés dont on annonce toujours l’invasion, où se cachent-ils ? Sans doute une hausse en attirerait, mais en quantités proportionnées à la hausse même. Pour arriver à des importations un peu sensibles, l’expérience l’a prouvé dix fois, il faut dépasser 25 francs l’hectolitre à Marseille, ce qui suppose au moins 20 francs en moyenne sur l’ensemble du territoire, et nous en sommes bien loin. Malheureusement il n’y a rien à répondre à la peur, et on ne peut nier que ce fantôme, d’autant plus gigantesque qu’il ne repose sur rien, n’obsède violemment les imaginations. Tout ce qu’on peut faire, c’est de retourner l’argument et de dire que les prix ne haussent pas seulement en proportion de ce qui sort, mais de ce qui peut sortir ; si les prix baissaient, il en sortirait davantage, ce qui soutient le niveau. Pourtant il est à craindre que ce raisonnement, quoique absolument le même, n’ait pas le même succès, puisque la réalité de l’exportation frappe beaucoup moins les esprits prévenus que la terreur d’une importation imaginaire.

Un dernier coup d’œil jeté sur les denrées agricoles autres que les céréales achèvera de montrer à quiconque n’a pas de parti-pris que nos producteurs ne perdent pas à la liberté du commerce :