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l’armée du tsar contre ceux de leurs compatriotes qui défendaient encore l’indépendance de leur pays.

Au sud du Japon, c’est à Nangasaki que la politique russe avait essayé d’abord son action. Là aussi les escadres allaient stationner, mettant au besoin leurs équipages à terre et les cantonnant dans les villages de la côte opposée à la ville ; là aussi il y avait quelques essais d’établissemens, — un hôpital, des écoles, des bains. — Une courte expérience fit bientôt reconnaître que Nangasaki était un mauvais choix, qu’on était sans cesse en présence d’une multitude d’étrangers qui vont de préférence se fixer dans cette ville et qui pouvaient devenir des rivaux ou des surveillans incommodes. L’attention des marins russes parut alors se porter sur les îles Tsousima, dont la possession aurait une bien autre importance. Ces deux îles, en effet, sont situées dans le détroit de Corée, en face de la presqu’île de ce nom, objet principal des ambitions de la politique moscovite. Séparées par un petit bras de mer profond, échancrées de baies spacieuses, elles réalisent tout ce que l’amirauté russe peut désirer pour un établissement maritime de premier ordre. Les flottes les plus nombreuses pourraient s’abriter dans leurs bassins naturels, tandis que la double entrée du détroit qui les sépare pourrait facilement être rendue inabordable. C’est sans nul doute sous l’influence de ces idées que les îles Tsousima devinrent, il y a quelques années, le théâtre d’une tentative assez maladroitement exécutée, mais qui ne reste pas moins un des épisodes curieux de cette singulière histoire : essai manqué qui peut toutefois se renouveler.

On était en 1860, lorsqu’un jour une corvette de guerre russe, le Posadnik, parut dans le détroit de Tsousima toute désemparée et faisant des signes de détresse. L’entrée des îles étant interdite aux étrangers, cette apparition inattendue mit en grand émoi les autorités locales, qui voulaient d’abord empêcher le navire de pénétrer dans le port ; mais le commandant fit si bien jouer tous les ressorts, il parla si hautement des conséquences que pouvait avoir cette violation des plus simples lois de l’hospitalité et de l’humanité, cette absence d’égards envers le souverain le plus puissant du globe, que non-seulement on le laissa jeter l’ancre, mais encore que le gouverneur finit par accepter les présens qui lui étaient offerts, et permit au capitaine Birulof de débarquer son artillerie, tous ses bagages, de former enfin un véritable camp retranché, une vraie colonie militaire. Une fois à terre, les Russes se hâtèrent de mettre leurs canons en batterie comme s’ils avaient à redouter quelque attaque du côté de la mer ; ils élevèrent des redoutes, construisirent des magasins, faisant flotter le pavillon russe au-dessus de ces établissemens improvisés, et surtout on se mit à lever des cartes